dimanche 2 mai 2010

AnaCo 1 - Nyoka azalaka na mwana te - La poubelle des pauvres

Didier de Lannoy
La vie au taux du jour
Dépêches de l'agence de presse privée Ana et le Congo (AnaCo) - Série 1
Première compil de dépêches (déchaussées, divagantes, yoyotantes) de l’agence de presse privée AnaCo : dépêches (littérature « immédiate », sketches interactifs, croquis à la carte ou dazibaos bringues-zingues-dingues, que sais-je…) dont certaines ont déjà été placardées sur internet ou spammées sur Outlook… dans lesquelles je m’autorise à exercer, en toute liberté, mon droit de citoyen de me mêler de n’importe quoi… et surtout d’ « affaires » dont on m’a bien fait comprendre que je n’y connaissais rien et qu’elles ne me concernaient pas du tout… et que j’avais plutôt intérêt à fermer ma grande gueule.
Nassogne (Badja), Matonge (Bruxelles), 2006-2007
Extraits - En vrac



Sur l'agnace AnaCo, voir aussi:
http://anaco2.blogspot.com/

et
http://anaco3.over-blog.net/

Sur le Congo, voir aussi (notamment):




Nyoka azalaka na mwana te


Quand un serpent s’étire au soleil, se glisse et rentre à l’intérieur de la maison, on ne lui demande pas

- Bonne arrivée, serpent !

comment il s’appelle, ni d’où il vient, ni s’il a bien voyagé… on lui offre à boire… un gros bol de lait parfumé au miel, à l’opium, au chanvre, à la mandragore, à l’insecticide ou à la crotte de rat…

Puis on sort

- Et on l’aiguise !

une petite pelle coupante ou une machette de la remise ou du placard à balais… et on attend que le serpent s’assoupisse et on lui tran-

che la tête.


Un petit serpent, ça n’existe pas.


La poubelle des pauvres


Texte commentant une photo du livre-album « Bruxelles à fleur de peau », à paraître (avec des photographies d’Olivier Le Brun et des textes de Colette Braeckman, Alain Brezault, Filip De Boeck, P. Devil, Jean-Pierre Jacquemin, Didier de Lannoy, Gauthier de Villers, Violaine de Villers, Jean-Marc Turine, Walter Swennen, Paul Van Ackere, Bernard Villers)


Et s’il s’agissait de Georges Pirard, soixante dix-huit

- Septante-huit !

ans, qui n’a jamais manifesté contre la disparition du franc belge et l’augmentation du prix des billets de banque mais qui vient, à nouveau, d’être

- Aucun pécheur ne peut espérer échapper à la sanction divine (aux caméras de surveillance, aux flics et aux juges du Seigneur) !

arrêté, poursuivi et condamné pour avoir cambriolé les poubelles des riches

- Des riches seulement ?

- Les riches roulent dans de meilleures voitures, ils épousent de plus belles femmes, ils habitent des logements plus confortables, ils mangent mieux et sont mieux habillés !

- Et alors ?

- Alors, ils ont des poubelles bien remplies ! Tu vois bien que, dans les poubelles des pauvres, il n’y a jamais rien ! Même que la poubelle de la rue de l’Economie, comme neuve, comme inutilisée, a bien meilleure mine que certains habitants du quartier du Jeu de Balle !

dans les beaux quartiers d’Uccle, de Watermael-Boitsfort ou de Woluwé et volé « l’argent des pauvres » dans un tronc de l’église de Zomergen ? Ou de l’église Saint-Pierre de Lommel

- En Flandre seulement ?

- Tout le monde sait qu’en Wallonie et à Bruxelles, il n’y a pas d’argent dans les troncs ! Que des capotes souillées et des boutons de braguette !

ou de l’église Notre-Dame de Vosselaer ?


Pourquoi, en effet, louer des appartements sordides, payer des factures d’eau et d’électricité (ou dépenser du fric dans des hôtels minables ou des maisons de retraite crasseuses) quand on peut loger et se faire soigner et manger à l’œil dans les prisons de Saint-Gilles ou de Forest, où les robinets coulent sans arrêt et où les néons ne s’éteignent jamais ?

En toute liberté.

- On ne doit même pas préparer à manger et faire la vaisselle ! On peut même apprendre plein de métiers : comment coudre des charentaises pour curés retraités et dans quel sens coller des boîtes en carton !

Il suffit de se laisser prendre. En hiver. Et d’attendre le retour du printemps. Et de jouer à la loterie pour passer le temps

- Et si je gagne le gros lot, je me remarie ! Direkt !



Partiellement


Dénoncé

- Elle ne pouvait plus marcher normalement, elle se plaignait d’avoir mal au cul et au bassin, elle « coulait » !

arrêté et écroué au sous-commissariat de police Waya-Waya du quartier Kingabwa, dans la commune de Limete, comment un jeune homme, travaillant dans une cabine téléphonique, fait-il pour avouer « partiellement »

- Partiellement, je dis bien ! Quand on n’a pas de femelle qui vous trouve à son goût et qu’on n’a pas non plus vocation à entrer au séminaire et qu’on a été mis à la porte de l’armée et qu’on n’a pas assez d’argent pour séduire une femme libre, on est bien obligé de violer les petites (déjà formées) du quartier, non ? Et d’ailleurs, grâce à moi, cette pucelle s’est retrouvée femme presque sans avoir souffert !

le viol d’une mineure

- J’avais à peine dix ans quand j’ai eu mes premières règles !

- Mauvaise fille ! Saleté ! Fautive ! Tu fous la whonte à toute la famille ! Je t’interdis d’aller à l’école !

- Et ma mère m’a frappée et elle a décidé de m’envoyer chez les masoeurs, au couvent !

commis dans la nuit du 8 au 9 août 2005 ?


Un mari « courageux »


C'est une jeune et jolie fille (portant le pagne avec coquetterie, joliment chaussée, délicatement maquillée, légèrement ambisée, subtilement parfumée, tressée avec élégance). La dauphine est spontanée, généreuse de son corps mais parfois imprudente. Quinze jeunes requins aux yeux rouges (ou sont-ce des orques ou des lions de mer ?) l'interpellent et lui disent qu'ils sont au service d’un Belge de chez Belge, capitaine de la marine marchande, un Wallon

- Ou un Flamand !

aux yeux délavés et au regard

- Une excellente occasion, ma soeur ! Le gaillard ne voit pas beaucoup plus loin que le bout de son zizi ! Tu feras tout ce que tu voudras de ce mundele-là, ma soeur !

bigleux, aux cheveux médiocres et grisonnants, à la bedaine chopeuse et gidouillante

qui commande un vieux cargo ayant jeté l’ancre dans le port de Matadi (complètement saturé) (dont le terminal, construit pour une capacité d’accueil de trois mille cinq cents conteneurs, en contient à présent plus de sept mille cinq cents)

et qui, ne pouvant envisager, avant un certain temps, de décharger ses marchandises et de reprendre la mer, leur a demandé de lui trouver une jeune et jolie

- Ine belle pitite crapaute ! E joeng en skeun huwbaar poepeke !

fille à épouser.


La dauphine revenait d’une veillée de prières (où elle était allée chercher des bénédictions, des encouragements et des indulgences pour tous les péchés de viande qu’elle allait devoir commettre avec un « salite ya musutu ») lorsqu'elle a accepté (avec imprudence, générosité et spontanéité) de se faire accompagner par la bande des requins entremetteurs aux yeux

- Des yeux de fumeurs de chanvre !

rouges jusqu’à la jeune et jolie

- Encore !

maisonnette isolée où le Liégeois de Grivegnée

- Ou l’habitant de Landen (dans le Vlaams Brabant) !

le bulanko amoureux de chair fraîche et colorée, le leucoderme pédophile, le coco rapé, le cochon gratté, le mundele ngulu

était censé venir la rejoindre aux environs de vingt-trois heures, lui présenter ses hommages, lui faire sa cour, lui allonger des dollars, lui forcer les jambes et lui défoncer le cul.


Après l’avoir saoulée et droguée, battue et déshabillée, ligotée et bâillonnée, les quinze requins ont abusé de la fille

- Allons-y !

- Moi d’abord !

- A mon tour !

- Vas-y ! Dépêche ! Pousse-toi ! Dégage !

à tour de rôle.

Puis ils l'ont relevée (elle gisait évanouie sur une natte) et jetée (avec ses chaussures et ses habits roulés en boule)

- Réveille-toi ! Lave-toi et file !

dans le kikoso, au fond de la parcelle, et lui ont enfoncé

- Comme ça tu ne risques pas de te faire sodomiser par des saloperies de militaires sidatiques (d’abord par le lieutenant, puis par l’adjudant, puis par le 1er sergent et ensuite par toute la troupe) ou des agents (portant des lunettes de soleil à toute heure du jour et de la nuit) de l’Agence nationale de renseignement ou des éléments impayés (et cherchant leur salaire au bord de la route) de la Police nationale, non ?

une noix de palme

- C’est tout de même moins douloureux que le canon d’une mitraillette ou le goulot d’une bouteille de sucré, non ? On n’est quand même pas des inciviques, ma soeur !

dans l’anus.


Mais quand, plus tard, elle sortira de son coma

(essoufflée, tuméfiée, salopée, virusée, exaltée, ballonnée, avariée, courbatue, transcendée, rayonnante, euphorique, outragée, truandée, massacrée, concassée, cochonnée, urinée, déféquée, allumée, irradiée, siphonnée, déjantée, encièlée, invoquant

- Alleluiah !

le Seigneur en psalmodiant)

elle aura perdu tous ses esprits et se réjouira publiquement

- Le Seigneur m’a visitée ! Le Seigneur est venu parmi moi ! Il m’a aimée quinze fois !

d’avoir été saillie

- Peut-être aurai-je quinze enfants ! Mais le Seigneur les préférera tous et subviendra aux besoins de chacun !

par un mari si « courageux ».


Gabriel


Au petit matin, avant de s’envoler par la fenêtre de la chambre de la donzelle, Gabriel glisse à l’oreille de Marie :

- Vous avez été merveilleuse, chérie, tout s’est très bien passé !



A Kingabwa


Un taxi, rempli jusqu’à la gueule, a déposé à l’entrée de la parcelle un « membre de famille » revenu du village avec des sacs de maïs et de manioc. Ça se passait sur l’avenue Tshia, au quartier Kingabwa, dans la commune de Limete. Tout le monde s’est précipité à l’intérieur de la parcelle (la famille, les amis, les curieux, les porteurs, voleurs, les pasteurs et les voisins) pour accueillir, aider et « flatter » le voyageur. La poussée de la foule a provoqué l’effondrement du mur d’enceinte (qui était déjà en très mauvais état) à l’abri duquel deux jeunes femmes, malgré cette soudaine animation, faisaient les indifférentes et continuaient de se tresser les cheveux tandis que leurs enfants n’arrêtaient pas de jouer dans leurs pattes. Deux gosses de trois ans ont été blessés (l’un souffrant d’une fracture du fémur et l’autre, probablement, d’une fracture du crâne). Ils ont été conduits au centre hospitalier Liziba avant d’être transférés à l’hôpital Saint Joseph de Limete.


Dans la forêt de Compiègne


Aujourd’hui, dans la forêt de Compiègne ou dans la forêt de Soignes le petit chaperon rouge a entre quarante et quarante-cinq ans et balade son pitbull, souvent noir, avec des dents en or.

Elle cherche en vain un marchand de crème glacée qui accepterait sa carte de crédit.

- Voyons, Petite, on se promène dans les bois avec un chien, d’accord ! mais pas avec une carte de crédit !

Mais peut-être s’agit-il d’une jeune grand-mère et d’un grand méchant loup, venus dans la forêt pour y couper du bois ?



Antwerpen


A Antwerpen, on en a de sérieux problèmes.

Ou bien on détruit le zoo pour agrandir la gare (y installer de nouvelles échoppes de marchands de journaux, de pralines, de parfums, d’alcools, de vêtements chics et de lingerie féminine) ou bien on détruit la gare pour agrandir le zoo.

Qu’en pense le Vlaams Belang ? Le zoo est déjà plein d’étrangers et, chaque jour, le train en déverse encore d’autres ?

- Et la police ne fait rien !

- Trop de jeunes en voiture ! Et qui roulent comme des fous !

- Et la police ne fait rien !

- Trop d’enfants dans les rues ! Et qui jouent comme des dingues !

- Et la police ne fait rien !

- Trop de chômeurs ! Et qui ne cherchent pas de travail !

- Et la police ne fait rien !

- Trop de gens qui mendient ! Et qui campent dans la rue !

- Et la police ne fait rien !


Crissement des ongles sur le tableau noir.


De cellule en cellule


Les rats de nuit veillent. Il vont et

- Je ne dérange pas ?

viennent, de cellule en cellule, creusent des trous, passent à travers les grillages et les barreaux et

reniflent les pots de chambre et

font passer des messages de réconfort aux prisonniers et reçoivent des caresses et des restes de nourriture.


Tout le monde en taule !


On construit une nouvelle prison, une nouvelle clôture, un nouveau zoo.

- Une prison ouverte ? On y pointe à l’entrée ? On y fait ses jours et ses heures, puis on pointe à la sortie ?

Pour les jeunes de moins de 18 ans qui mâchent du chewing-gum et livrent des pizzas en skate (au lieu d’aller se faire chier en classe ou à l'atelier) et cassent (la whonte !) leur planche en descendant du trottoir

ou qui se font embrigader dans l’Armée Révolutionnaire du Christ

de moins de 16 ans

- On a réussi à en coincer pas mal à la sortie de l’athénée Jacqmotte, dans les stations de métro et à l’entrée des cinémas et des discothèques ! Et même dans le lavoir automatique de la place Fernand Cocq !

qui ne savent pas ce qu’ils attendent et « font le mur » à un coin de rue et emmerdent les femmes et les clochards (faisant semblant d’attendre le bus) (s’agrippant au goulot d’une bouteille de gros rouge) et s’emparent d’une moto et la font entrer dans la cour intérieure d’un immeuble et la dissimulent sous une bâche dans un box de garage

de moins de 14 ans qui se lavent les mains calmement dans la cuisine après avoir égorgé leurs parents au salon ou dans leur chambre à coucher

de moins de 12 ans qui déculottent et violent (par sodomisation et par fellation) leur petit compagnon jeu, âgé de moins de dix ans, dans la cour de récréation de l’école

de moins de 10 ans qui sillonnent à vélo les berges du canal de Willebroek et arrachent leurs premiers sacs

de moins de 8 ans

- On en a surpris toute une bande devant les « Pagodes » ! Et aussi devant l’école communale d’Ixelles de la rue Sans Soucis ! Et même devant l’école communale d’Erbisoeul, dans l’entité de Jurbise !

qui jetent des pétards dans la foule et portent des traces de brûlure sur les bras et mettent le feu à un rouleau de papier hygiénique et incendient (seule la façade reste encore debout) le local technique de leur bahut

de moins de 6 ans qui rôdent

- Pesons les enfants à l’entrée des magasins ! Et pesons-les encore à la sortie ! Et qu’on leur fasse payer la différence !

dans les rayons des bonbons et des chocolats des grandes surfaces et passent la journée (devant leur ordinateur, leur console de jeux ou leur télévision) à tirer sur tout ce qui bouge et filment avec un téléphone portable le passage à tabac d’un nouveau-né dans

- Relevez le poussoir ! Assurez-vous que l’eau ne coule plus !

les toilettes d’une garderie


et pour les enfants qui n’ont pas droit au repas chaud à la cantine et qui n’ont pas non plus de quoi se payer se payer un sandwich ou un frites-mayo dans un snack de Saint-Gilles, en Belgique

et pour les enfants du curé dont le papa rechigne à verser une pension alimentaire à

- Les curés n’ont plus le droit de divorcer maintenant ?

sa « répudiée » et qui ne veut plus voir ou entendre parler du fruit de leurs nocturnes assemblées dans le presbytère d’un petit village de Vendée, en France

et pour les enfants qui ne vont jamais à l’école ou à l’hôpital et qui disputent la carcasse d’un poulet au berger allemand du patron d’un gargote de Cochabamba, en Bolivie

et pour les enfants prêtés, les enfants volés, les enfants vendus, les enfants achetés, les enfants abandonnés

- Avant, on abandonnait les bébés de deux jours, sous le porche d’une église ! Maintenant, on les abandonne devant l’entrée d’un supermarché !

les restavek, les esclaves sexuelles, les enfants mendiants, les enfants domestiques, les enfants séduits par des promesses fallacieuses

- On te paiera en fruits frais, en poisson cru et en viande faisandée ! Tu seras bien reçu ! Tu seras comme en famille !

empaquetés et expédiés chez un planteur, dans un bus, en Côte d’Ivoire

- Port payé par le destinataire ! Arrivé-payé !

les enfants porteurs d’eau, les enfants pousse-pousseurs, les enfants kwashiorkorés, les enfants du caoutchouc (à qui Léopold Deux faisait couper les mains), les enfants utilisés pour « faire l’attaque »

- Ils ont pour tâche de creuser un trou de deux à cinq mètres de profondeur dans le sol ! Puis viennent des garçons plus âgés qui agrandissent le trou ! Et, ensuite, s’amènent les vrais creuseurs artisanaux qui recherchent les minerais avec leurs pelles et leurs pioches !

dans la mine à ciel ouvert de Matempo (près du village de Benakaseya, à environ vingt km au Sud de Mbuji-Mayi, au Kasaï-Oriental) ou d’ailleurs, les enfants clochards, les enfants sans-papiers, les enfants disparus, les enfants

- Il faut leur parler doucement, en évitant de les regarder dans les yeux, avant d’actionner son piège et de jeter son filet…

prisonniers, les enfants abusés, les enfants maltraités, les enfants shootés, les enfants gazés, les enfants poignardés, les enfants sidatisés, les enfants ensorcelés, les enfants sortis des statistiques, les enfants de la honte, les enfants du viol, les enfants « balles perdues », les enfants euthanasiés, les enfants éviscérés


et pour les enfants inscrits au casier judiciaire des chiens méchants, les enfants voleurs de billes et de petits voitures, les enfants pervers, les enfants maquereaux, les enfants putains, les enfants glandeurs, les bana maï de Matadi, les butubana de Mbuji-Mayi, les maibobo de Goma (vadrouillant sur l’avenue Kitona, au quartier Mikeno) ou de Bukavu (rôdant aux alentours du marché central de Kadutu), les shegués de Kinshasa

- Ceux qui disputent le contrôle des cimetières de Kasa-Vubu et de la Gombe aux femmes maraîchères (y cultivant de petits lopins de terre), pillent leurs plantations et se font griller des épis de maïs sur un makala ! Ceux qui dorment sur les trottoirs au marché central (et qu’on enjambe, qu’on contourne et dont on a peur) (on fait attention à ne pas marcher sur n’importe qui) ! Ceux qui habitent Barumbu, sous le pont Bitshiaku-Tshiaku, y copulent, y avortent et y dissimulent leurs fœtus ! Ceux qui voyagent sur la ligne Kasangulu-Kinshasa (et retour) en s’agrippant aux portières et aux fenêtres ou en grimpant sur les toits des wagons du train urbain de l’Onatra et (armés de barres de fer et de tessons de bouteilles) rossent les agents de sécurité, préposés au contrôle des tickets, qui refusent de « coopérer » avec les mamans vendeuses du marché central ou du marché Simba Zigida (lesquelles font valoir leurs charges de famille et demandent à ne payer que la moitié du prix) et les fraudeurs (lesquels revendiquent la gratuité du parcours sur tout le réseau ferroviaire) !

les enfants guetteurs et

- Le soir, quand ils ont fini leur service, ils comptent leur recette !

les enfants chouraveurs (deux petites faucheuses de bagues et de boucles d’oreilles se glissent dans le jardin d’une maison à la recherche d’une porte arrière mal fermée par l’habitante des lieux

- Sans doute est-elle allée faire une petite course dans le quartier ! Sans doute est-elle allée voir monsieur le curé !

ou d’une fenêtre mal protégée ou

- Quelqu’un a pénétré dans la maison ! Une fenêtre de la cuisine a été fracturée ! Des empreintes de petits pieds ont été relevées !

laissée grande ouverte en cette période de canicule), les enfants dealers (cachant des sachets de cocaïne ou des boulettes de bangui dans leur doudou ou leur ours en peluche), les kadogos, les enfants vagabonds, les enfants pillards

- Opérant en groupe, ils arrachent le cellulaire d’une femme commerçante (sacs de riz, sacs de maïs, cartons de mpiodi de trente kilos, bols de sel) ou le sac (contenant 1.500 dollars américains et 5.000 FC) d’un vendeur d’habits du marché central, au croisement des avenues Luvwa et Marais, dans la commune de Kinshasa, puis ils se font des passes, des passes, des passes, des passes, en courant et en rigolant… comme au rugby !

les enfants alcooliques, les enfants drogués, les enfants sorciers (mais qui ne supportent pas

- Incisons-leur le ventre avec une lame de rasoir ! Exposons-les au soleil de treize heures quarante-cinq minutes et sept secondes ! Appliquons-leur du jus et des grains de piment rouge sur les plaies ! Ceux qui mourront auront fait la preuve de leur culpabilité !

qu’on les traite de

- Seuls les sorciers savent reconnaître les sorciers !

sorciers), les enfants rois, les enfants endettés, les enfants racketteurs, les enfants violeurs, les enfants avorteurs, les enfants suceurs de sang et déboulonneurs de rails, les enfants cafards, les enfants chacals, les enfants dealers de drogues et d’armes et de « renseignements généraux » et de femmes (proposant leurs mères) et de petites filles (proposant leurs sœurs).

et aussi des centres d’enfermement pour les immigrés, les demandeurs d’asile, les émigrés, les réfugiés

- Ils n’ont aucune respect, aucune d’hygiène ! Ils portent des matelas sur le dos et les déposent n’importe où ! Ils se permettent de langer leurs bébés sur les marches de nos escaliers ou sur le capot de nos voitures !

les sans-papiers, les passagers clandestins jetés par-dessus bord d’un cargo et qui ont réussi à gagner la côte à la nage, les irréguliers, les illégaux, les exilés, les bannis, les déportés, les déplacés, les évacués, les rapatriés, les grévistes de la faim, les OQT, les SDF, les chemineaux, les voyageurs

- Ah non ! Pas tout le monde ! On ne va quand même pas foutre en taule les clubistes, les curistes, les vacanciers, les joueurs de golf et les touristes sexuels éméchés !

et tous les étrangers.

- On est allé en chercher à la gare de Jemelle, ils venaient du Luxembourg ! Et d’autres, à la gare de Mons, ils venaient de Valenciennes ! Et d’autres encore (montés à bord de petits bateaux de pêche en provenance du Sénégal et de Mauritanie et se dirigeant vers les îles Canaries) (ou de sampangs ou de boutres, remplis jusqu’à la gueule, croisant au large des zones côtières du sud de la Chine ou traversant le golfe d’Aden entre la Somalie et le Yemen) ont jeté l’ancre au port de Bruxelles !

Il est rare que ces espèces vivent très longtemps en captivité. Et plus rare encore qu’elles s’y reproduisent. Sauf avec la complicité de quelques gardiens pourris.


On ouvre aussi une nouvelle crèche pour les vieux de tous les sexes

de plus de 55 ans qui furent mineurs au Limbourg ou dans le Borinage, policiers, pompiers ou militaires de carrière et qui, à présent, réparent le moteur de leur voiture, occupent leurs soirées à démonter et à remonter les mécanismes de leur montre à gousset, s’achètent une scie électrique et un fusil

- Ce qu’on aime dans le gibier, c’est la marinade !

de chasse, se font remonter les seins, élargissent leur pénis, consacrent leurs loisirs à la pétanque et frappent leurs contradicteurs avec une bouteille de bière (ou une chikwangue ou une igname !)

de plus de 60 ans qui ont longtemps bossé dans la sidérurgie ou dans le secteur des portes (menuisier, concierge ou videur de dancing) ou dans le domaine de l’alimentation (chefs de rayon, magasiniers, caissières de superettes) et qui, à présent, continuent de défendre les droits des travailleurs et qu’on emprisonne pour subversion à l’issue d’un procès expédié en moins d’une heure

de plus de 65 ans qui ont oeuvré toute leur vie dans des cuisines de restaurants et des services de nettoyage et qui, à présent, arrosent leurs plantes, nourrissent leur animal de compagnie, relèvent leur courrier, passent leur temps libre à regarder obstinément le linge tourner dans le tambour de la machine et tuent tous les bébés de leurs voisins pour que leurs petits-enfants aient suffisamment à damer

de plus de 70 ans qui ont travaillé comme à l'Union Minière ou à l'Otraco

- Mais qui, n’étant pas des travailleurs « expatriés », n'avaient pas le droit de cotiser à l’OSSOM !

et qui, à présent, mendient

- Donnez-nous des moyens (du lard, de l’argent, des dollars), quoi !

dans les rues de Kinshasa ou de Kolwezi ou de Kigali et agressent un grand commerçant de diamants, en plein marché, en la menaçant d’une brosse à dents et d’un tube de mousse à raser

de plus de 75 ans qui furent professeurs de solfège ou de gymnastique (ou surveillants de dortoirs ou responsables de réfectoires) à l’athénée royal de Rösrath et qui obligeaient les élèves à ramper dans la boue lorsqu’ils parlaient durant les cours ou chahutaient (comme un groupe de babouiiiins faisant irruption dans une salle de classe) pendant l’étude et qui, à présent, aiment faire du vélo dans les campagnes et volent « l’argent des pauvres » dans les troncs des églises de Zomergen, de Lommel ou

- En Flandre seulement ?

- Tout le monde sait qu’en Wallonie et à Bruxelles, il n’y a jamais d’argent dans les troncs !

de Vosselaer

de plus de 80 ans qui ont très longtemps géré un petit commerce de proximité (une mercerie, une droguerie, une oisellerie) et qui, à présent, feuillettent toujours le même livre (et cornent leurs pages préférées), donnent à manger aux chats et aux pigeons de la place Hendrik Conscience et à qui le boulanger, le coiffeur du salon « Chez Dalila » et l’épicier du coin acceptent encore de faire crédit

- Mais pour un mois seulement ! Pas plus !

et qui ont décidé de célébrer leur anniversaire

- Sait-on jamais ?

tous les six mois

de plus de 85 ans qui sortent encore acheter du pain, passent quelques heures dans un café turc de Saint-Josse (au coin de la rue de la Limite et de la rue Traversière) après avoir fait leurs petites courses, s’éclairent encore à la bougie, perdent l’équilibre, ne coordonnent plus tous leurs mouvements, ne retrouvent pas toujours le chemin de leur maison ou de leur mouroir, trébuchent, chavirent, passent par-dessus bord, se noyent ou manquent se faire écraser par

- Je n’ai pas pu l’éviter !

un chauffard en traversant la rue, en claudiquant, sous la pluie, pour s’abriter de l’orage

de plus de 90 ans qui ne fêtent plus la Saint Nicolas mais se maquillent encore (avec une prédilection pour les couleurs vertes et roses), portent des bijoux de pacotille et vivent, avec sérénité

- Mais sans doute mourront-ils d’autre chose, non ? Avant !

le dernier cancer de leur existence

- Et ton cancer du rein ?

- Progression bloquée, dissémination stabilisée, bon espoir de survivre (au moins) 5,4 mois ou (au plus) 10 ,2 mois (au plus) !

de plus de 95 ans qui furent téléphonistes et qui, bien que sourds, sont toujours passionnés de piano et renversent un verre de jus de pomme ou une tasse de café au lait sur le clavier leur instrument

de plus de 100 ans qui ne vont plus nulle part (ni au café, ni à l’église, ni au cimetière, ni au cinéma) mais font encore leurs courses au supermarché Delhaize de la rue de Hennin, une fois par semaine, et regrettent parfois de ne plus être capable de monter sur une chaise ou une échelle et de se hisser sur la point des pieds et d’enlever la poussière de leurs lustres

de plus de 105 ans qui rencontrent toujours des fantômes dans les couloirs ou sur les trottoirs et n’osent plus se déplacer et ne sortent plus de leur chambre et ne parviennent plus vraiment à vivre et que des infirmières arrosent plusieurs fois par jour et qui en ont marre d’attendre de mourir

- Nous n’inviterons personne à notre enterrement ! Sauf ceux qui voudront faire la bringue !

dans un ancien salon de toilettage d’animaux de compagnie.


Cette nouvelle crèche mise sur une participation active des enfants et des petits-enfants et des arrière-petits-enfants qui apprennent comment entretenir leurs vieux, les amener en promenade (au marché ou dans le bois de la Cambre), changer leurs couches et leurs draps de lit, leur mettre une sucette en bouche et leur donner un nounours à bercer, les border jusqu’au menton, nettoyer leurs jouets, vider leurs pots de chambre, en hériter.


Une voiture garée dans la rue


Des bruits

- Supplications d’une robe qu’on déchire, hurlements d’un slip qu’on arrache et qu’on noie dans un bénitier !

émanent de l’intérieur d’une voiture garée rue Dupont, à Schaerbeek.

Quelqu’un appelle au secours, tambourine, s’époumonne.


Les chevaliers templiers


Mais qui sont donc ces vénérables chevaliers templiers « ravisseurs de femmes » ?

Sont-ce de valeureux chasseurs à courre qui tombent amoureux de (et razzient les chèvres et les moutons de) vierges bergères (et brûlent des juments gravides, engrossées monstrueusement par Lucifer

- Chassons Azazel à coups de balai ! Extirpons Belzébuth qui s’est niché dans le ventre de nos femelles !

lorsque les ganaches ont l’impertinence de tomber enceintes de ceux qui les montent) et caressent leur poitrine avec un couteau et boivent leur sang menstruel et conservent pieusement leurs ossements dans des reliquaires ?

Ou des « éléments » de Guillaume de la Marck qui se cherchent des porteuses de biens volés (lors de pillages, fric-frac, rackets, chantages, opérations boursières, manipulations comptables, matchs de boxe ou de football truqués, excommunications, saisies de rotatives et autres actes de violence), des lavandières de rivières, des repasseuses entraînées à l’utilisation du fer à braise, des cuisinières sachant préparer du chevreuil et du sanglier au feu de bois (et cuire des patates sous la cendre) et des sacs à foutre dressées à se faire triquer par toute la bande des copains et

- Nous avons combattu les Sarrasins, les Assassins et les Turcs ! Nous revenons de Jérusalem ! Nous sommes un ordre militaire et hospitalier !

leurs invités ?