dimanche 2 mai 2010

AnaCo 1 - Suicidez-vous à l'ombre - GITMO - Comme un lapin ébloui par un projecteur

Didier de Lannoy
La vie au taux du jour
Dépêches de l'agence de presse privée Ana et le Congo (AnaCo) - Série 1
Première compil de dépêches (déchaussées, divagantes, yoyotantes) de l’agence de presse privée AnaCo : dépêches (littérature « immédiate », sketches interactifs, croquis à la carte ou dazibaos bringues-zingues-dingues, que sais-je…) dont certaines ont déjà été placardées sur internet ou spammées sur Outlook… dans lesquelles je m’autorise à exercer, en toute liberté, mon droit de citoyen de me mêler de n’importe quoi… et surtout d’ « affaires » dont on m’a bien fait comprendre que je n’y connaissais rien et qu’elles ne me concernaient pas du tout… et que j’avais plutôt intérêt à fermer ma grande gueule.
Nassogne (Badja), Matonge (Bruxelles), 2006-2007
Extraits - En vrac



Sur l'agnace AnaCo, voir aussi:
http://anaco2.blogspot.com/

et
http://anaco3.over-blog.net/

Sur le Congo, voir aussi (notamment):




Comme un lapin ébloui par un projecteur


Ça se passait rue Royale, à la hauteur du Botanique. Elle avait à peine 39 ans. Elle portait une robe et des bas

- Et une mantille et un voile de deuil assortis ?

noirs.

Le jour allait bientôt se lever. Le conducteur du premier tram de la journée ne l’a même pas…

- Elle était immobile au milieu de la voie comme un lapin ébloui par un projecteur ?

vue.


Mais peut-être était-elle gravement malade et peut-être le savait-elle et

- Et pourtant, d’après mon docteur, le cancer n’est pas encore une maladie sexuellement transmissible !

- Et le sarcome de Sticker, alors ? Cette tumeur obscène et odieuse que les chiens s’inoculent en baisant ?

peut-être son mec et son mac avait-il été condamné à deux ans de tôle pour une stupide histoire de drogue et

- D’ailleurs, je ne t’aime même plus !

peut-être avait-il été pointé par les membres d’une bande et peut-être était-il mort en prison. Et s’était-elle rendue compte alors que beaucoup d’autres femmes étaient veuves du même bonhomme.


Elle avait longtemps hésité…

Mais elle n’avait pas voulu revendre la petite voiture (en panne) (au pare-brise bardé d’autocollants) (et dont les pneus n’avaient pas été cirés depuis longtemps) dans laquelle son mec et mac et elle, au début de leur idylle, il y a quinze ans, avaient souvent forniqué, fumé du bangui, joué aux poker, descendu des bouteilles de cognac polonais enveloppées dans des sacs en papier brun ou des litres de lotoko congolais déguisés en bouteilles d’eau minérale… avant qu’il ne la quitte ainsi, brutalement, sans prévenir…


Elle s’est tâtée longtemps…

Mais elle n’avait pas résilié le bail de sa carrée, ni loué un nouvel local, ni même changé la serrure de la porte d’entrée de son « office » dont, à part elle, son mec et mac était le seul à avoir les clefs…


Et voilà que, distraite ou préoccupée, elle traverse les rails en dehors du passage pour piétons et voilà qu’elle n’entend pas le tram venir…

et voilà qu’elle se fait écraser, peu avant six heures du matin, à la hauteur de la localité Lemba Imbu, dans la commune de Kisenso, par le train urbain de l’Onatra (comprenant près de vingt wagons, plein de passagers et de sacs de fufu et de madesu et de bottes de pundu) (destinés à être vendus au grand marché de Kinshasa) (et plein de fraudeurs et de shegués accrochés aux poignées extérieures, aux boogies, aux crochets d’attelage ou installés sur le toit des voitures) qui dessert deux fois par jour la ligne Kasangulu-Gare centrale…

et voilà que des jeunes gens à la recherche de champignons retrouvent son corps en contrebas de la voie ferrée qui mène à Matadi, entre le village Sampa et la gare de Kwilu-Ngongo, près d’un passage souterrain encombré de détritus…


Quelques personnes (des parents, des habitués, des amis, des collègues de travail, un journaliste free-lance du Patriote de l’Ariège, des créanciers hypothécaires, des flics-fonctionnaires du ministère du Vice et de la Vertu, des huissiers et des curés) sont venues identifier le corps dans la chambre mortuaire de la maison de soins….


Mais il leur a d’abord fallu s’habiller. Une charlotte pour les cheveux, des gants de dentiste ou des gants de vaisselle, des claques pour couvrir les chaussures, un grand tablier blanc. Un agent sanitaire leur a donné des instructions

- N’oubliez pas de vous désinfecter les mains !

puis les a laissés pénétrer

- Avant !

dans le sas menant à la morgue attenante au pavillon

- Et après !

des grands malades sociaux hautement contagieux et malfaisants, les self-flingueurs et les hara-kiristes…

- Et ne mangez pas vos crottes de nez !


GITMO


GTMO ou GITMO

- Gruppo Italiano Trapianto di Midollo Osseo?

où préférez-vous (en passant par l’Italie, la Pologne, la Belgique, le Maroc ou la Roumanie) qu’ou vous transfère ?


A l’ombre !


Les pendus

- Suicidez-vous à l’ombre !

avaient le visage orange rose mauve rouge roux acajou affiche aïl airelle alarme alerte amour angiome amarante ardeur armée attaque-d’apoplexie baiser ballon bandana bandeau anciennes-banlieues-de-paris barbe baron basané bâton betterave bissap bisque boîte-aux-lettres-de-la-rue-malibran bonbonnes-de-gaz-vendues-dans-les-stations-total-de-lomé bonnet bordeaux bordel boucané boulette-sauce-tomate boulets bourreau braise brique bustier calamar-en-colère canapé-du-lupanar canneberge capoeira capucine caramélisé cardinal carmin carotte carton cassis cauchemar caviar cerise cervelas-vendu-dans-les-rues-de-kinshasa cha-cha-cha champagne chaperon charanga charcuterie-ardennaise-de-chez-magerotte-à-nassogne chasse-à-courre château chêne chiffon chili-en-poudre chou chupa-chups cinabre cloître coca-cola cochon-de-lait coccinelle cœur colère compte-en-banque confiture coquelicot corail coralline corrida corset cote-d’examen couperosé cramé cramoisi cravate crête-du-coq-wallon crevette croissant croix cuivre dahlia désir diable dragon drapeau écarlate écrevisse effort et-le-noir encre enfer épiscopal érable espagne étoile estincteur fard fayot femelle-de-cochenille fer feu fil filet-de-tilapia flamant flamme fœtus foulard fraise framboise fuchsia gaine garance géranium glamour gland gorge grenade grenat groseille guêpière gueules haine hâlé haricots homard-cardinalisé horreur ibis île incarnat infra jaunisse joues journée kamasutra karkadé ketchup khmer klottes kossa-kossa kriek langouste langue-d’oiseau langue-du-lion-de-flandre lanterne latérite lave lèvres lie-de-vin lilas liste lumière lune main mangoustan martini menstrues mephistopheles mer minium mouchoir moulin muleta mûre myrtille nacarat nez ngai-ngai ocre oursin paprika passion patate pâte-de-curry pavot pet-de-babouin petite-culotte-de-fioti-fioti père-noël picasso pili-pili pilule piment piranha piste pivoine placenta planète poison poisson poivre-de-cayenne poivron pomme pomodoro pompier ponceau porcelet porto potiron pourpre purpura purpurin quartier-des-passes queue-de-renard radis raisin ramboutan rascasse red-light-district règles rhubarbe rideau rivière romain rouget rouille (comme la couleur de l’eau de la piscine lorsque je me chope une hépatite et que je commets l’imprudence de pisser en barbotant ?) rubicond rubis-spinelle rumba safran saint-nicolas (celui-là même qui envisageait de prostituer ses trois filles

- J’aurais dû de les marier au Congo ou au Togo ! La charge de la dot aurait été inversée !

faute de pouvoir leur offrir un trousseau de nappes et de draps, un troupeau de moutons laineux, des terrains agricoles, un lit à baldaquin, un coffre à linge, de la vaisselle en étain et un portefeuille d’actions pétrolières ou minières ?) salsa samba sang santa-claus sens-interdit shanghai sirop-de-liège slip-de-bain soleil standard-de-liège sucre-d’orge sucette tabasco tache-de-vin tapis taureau téléphone terre terreur thon tomate (même les tomates vertes de Valencia finiront bien par prendre des couleurs, non ?) tondolo toge-de-l’avocat-général-près-la-cour-d’assises-du-hainaut torero tournedos triangle trogne vengeance vermeil vermillon vernis-à-ongles vinaigre-balsamique viande-de-bœuf-à-l’anglaise vif volcan whonte-a-wonze-heures xérès yeux-de-shégué-fumeur-de-chambre (fabricant, dealer et consommateur de cigarettes ambassade spéciales revendues en bordure du boulevard du trente juin à la hauteur de la croix rouge ?) zinzolin zone...

- Suicidez-vous à l’aube et faites-vous décrocher dans la matinée, avant la dissipation des brumes !

Sans doute avaient-il attrapé un méchant coup de soleil ?


Suicidés par pendaison ?

- Pas toujours ! Les suicidés ne sont pas toujours volontaires…Beaucoup sont assistés…par la famille, des proches, des voisins, des maîtresses, des prêtres, des rivaux et des créanciers…


Ou exécutés par pendaison, suspendus par le cou à

- Qu’on les remarque de loin… Qu’on (tous les hommes, toutes les femmes et tous les enfants rassemblés sur la grand-place) voient comment ils dansent et se contorsionnent au bout de leur corde, comment ils s’offrent une dernière trique, comment la langue leur sort de la bouche, comment leurs boyaux se vident, comment ils urinent, chient et éjaculent dans leur froc, comment le sang leur coule des yeux, du nez et des oreilles… et quelles couleurs prennent leurs joues…

un très grand gibet, d’au moins

- Ils s’agitent encore ? Qu’on les dépende ! Et qu’on leur brûle la barbe et qu’on leur plante des clous dans la tête et qu’on les châtre et qu’on les ébouillante et qu’on les empale et qu’on les éviscère et qu’on les écartèle ! Qu’ils se sentent bien mourir et voient leur corps se vider de son sang !

cinq mètres de haut ?


Ou décapités par pendaison

- Au nom, du Père, du Fils et du Saint-Esprit ! Et du Pétrole !

comme Barzan al-Tikriti, en janvier 2007, à Bagdad, sous le régime de la paix américaine ?


GTMO


Où ? irons-nous cette année, passer nos vacances militantes…


Dans ? un bagne du Goulag…

A ? Belzec, à Chelmno, à Auschwitz-Birkenau, à Treblinka, à Maidanek, à Dachau, à Buchenwald…

Sur ? le plateau de Waterberg et dans des camps de travail forcé du Südwest-Afrika dont les gisements de diamants ont été « pacifiés » par le grand général du tout puissant Kaiser Guillaume II, Lothar Von Trotha, et dont le premier gouverneur, un certain Dr Heinrich Goering, avait un fils qui s’appelait Hermann…

A ? Abou Ghraib…

Dans ? la prison souterraine de Luzumu, sur l’île de Mbula Bemba ou dans le bagne d’Ekafela…

A ? Cayenne ou dans l’île malgache de Nosy-Lava…

Au ? zoo de Guantanamo, dans les cages pour bêtes fauves du camp Delta, où selon le contre-amiral Harry Harris

- Les prisonniers sont malins ! Ils sont très créatifs ! Ils n’ont pas de respect pour la vie, ni pour la nôtre, ni pour la leur ! Les suicides des prisonniers ne sont pas des actes de désespoir mais des actes de « guerre asymétrique » dirigés contre nous !

certains prisonniers se suicident de façon « différente » rien que pour faire chier l’armée américaine…

Où donc ?

Là ? Là où ?


Mais non, pas là.

Ni là. Ni là-bas. Ni ailleurs. Ni autre part. Trève d’exotisme. On ne doit pas toujours chercher plus loin.


Trouvons plutôt ici, chez nous !

Manque d’ambition et petits moyens, certes… mais on ne se débrouille pas trop mal… et ça coûte vachement moins cher

Où ça ?


Dans un établissement pénitentiaire où

des agents infligent des « traitements inhumains et dégradants » à des détenus internés à l’annexe psychiatrique…


Dans une prison humaniste

ouverte aux ménages avec enfants… coupables d’avoir franchi illégalement les frontières de Schengen et de demander l’asile politique, économique, philosophique, social, sexuel ou culturel…


Dans un centre fermé pour étrangers où

des centaines de mineurs d’âge sont incarcérés chaque année…

un candidat réfugié, placé depuis des semaines dans une cellule d’isolement, en béton, sans toilettes, défèque et urine sous lui, patauge dans ses excréments, nu, emballé dans une couverture poisseuse…

la direction administrative donne l’ordre, par téléphone, un vendredi soir, à une infirmière d’administrer des neuroleptiques à un candidat réfugié… pour qu’il soit calme le week-end et ne pose pas de problèmes aux gardiens…

un candidat réfugié est condamné à se pendre dans sa cellule… de solitude et de désespoir…


Dans une université où

en mars 2007, on impose

- Et maintenant tu la fermes ! Sinon le « tribunal de la liberté d’examiner » pourrait bien t’excommunier !

le port du voile et du bâillon à Tariq Ramadan


Dans une église où

des candidats réfugiés, grévistes de la faim, menaçant de se suicider par le feu, sont inculpés de tentative d’incendie


Dans un commissariat de police où

un pendu est photographié avant d’être dépendu (les flics appliquant une « procédure réglementaire de constatation ») et décède quelques jours après, en bonne et due forme.


Où ça ?

Au Royaume de Tintin où Semira Adamu ne cessera jamais d’avoir été assassinée