dimanche 2 mai 2010

AnaCo 1 - Meurt-on partout pareil

Didier de Lannoy
La vie au taux du jour
Dépêches de l'agence de presse privée Ana et le Congo (AnaCo) - Série 1
Première compil de dépêches (déchaussées, divagantes, yoyotantes) de l’agence de presse privée AnaCo : dépêches (littérature « immédiate », sketches interactifs, croquis à la carte ou dazibaos bringues-zingues-dingues, que sais-je…) dont certaines ont déjà été placardées sur internet ou spammées sur Outlook… dans lesquelles je m’autorise à exercer, en toute liberté, mon droit de citoyen de me mêler de n’importe quoi… et surtout d’ « affaires » dont on m’a bien fait comprendre que je n’y connaissais rien et qu’elles ne me concernaient pas du tout… et que j’avais plutôt intérêt à fermer ma grande gueule.
Nassogne (Badja), Matonge (Bruxelles), 2006-2007
Extraits - En vrac



Sur l'agnace AnaCo, voir aussi:
http://anaco2.blogspot.com/

et
http://anaco3.over-blog.net/

Sur le Congo, voir aussi (notamment):




Meurt-on partout pareil ?


De quoi meurt-on le mieux ?

De la fièvre thyphoïde à Kwamouth ou à Kikwit (où deux malades partagent un même lit) ?

Ou de la rougeole dans les villages de Palanga, Kinsaku, Kifuma Nguimba, Kayi Mbaku, Tshanga Ngoma et Kizu du secteur de Maduda (province du Bas-Congo) ? Et à Lubanga et à Bakamba, en territoire de Dimbelenge, au Kasaï-Occidental ? Et à Kindu, Alunguli et Lubutu (Maniema) ?

Ou de la lèpre dans les districts du Kwango et de la Tshopo ? Ou du Haut-Lomami ? Ou du Lualaba (à Dilolo, à Kasaji et à Sandoa) ?

Ou de la tuberculose à Kisangani ?

Ou du sida, le long du fleuve Congo, entre Kinsuka et Kimpoko ? Ou dans la cité de Neisu (Haut-Uélé) ?

Ou de la trypanosomiase dans les localités de Tshibata (chef-lieu de la chefferie de Bakwa Kalonji), de Kasansa et de Bakwa Ngambwa (dans la chefferie de Bakwa-Mulumba) ? Ou dans la zone de santé de Lwambo (territoire de Luiza) au Kasaï-Occidental

Ou de paludisme à Kichanga (territoire de Rutshuru) ? Ou de poliomyélite à Tskikapa, Boma et Kinzau-Mvuete? Ou de méningite au Maïndombe ? Ou de choléra à Butembo, Malemba-Nkulu et Kalemie ? Ou de malnutrition à Bulungu ?

Ou dans l’explosion d’une mine antipersonnel à Nyunzu et à Kabalo (au Nord-Katanga) ?

Dans quel village, dans quelle cité, dans quel territoire, dans quel district, dans quelle ville, dans quelle province, dans quel pays, dans quel monde meurt-on plus jeune, plus vite, à coup sûr, de façon radicale ?


Tandis que beaucoup d’« autres », ailleurs, ont vécu une longue, blanche, oisive, indifférente et confortable existence de propriétaire et d’actionnaire et la terminent

- On ne meurt qu’une seule fois, il ne faut pas rater ça !

- Puis-je te présenter des candidats à ta succession ?

dans un hôme chauffé en hiver et climatisé en été (qui ne pue ni la pisse, ni la merde, ni l’eau de Javel) situé à proximité du crématorium du Père-Lachaise ou du cimetière d’Ixelles et s’installent sur un banc (ou, s’il fait beau, boivent un verre ou deux de Martini en terrasse, au soleil) devant la porte ou la grille d’entrée du lieu de repos et de recueillement où leur parcelle est, depuis toujours, réservée et attendent sereinement de tirer le numéro gagnant et d’être accueillis enfin dans la maison du Seigneur ?

Ou meurent dans un lit, à l’hôpital, en regardant

- Les reality-shows ont remplacé les opéras d’assises ! On a vachement élargi la clientèle !

la télévision et voient leur cœur s’arrêter



Poursuites judiciaires


Un policier

- Il est interdit de téléphoner à moins de dix mètres des pompes à essence ! Sous peine de poursuites judiciaires !

en uniforme poursuit en courant un automobiliste qu’il vient de surprendre en flagrant délit de communication téléphonique (appelant, avec le sourire, son deuxième bureau) (ou répondant, avec hargne, à un appel angoissé

- La gamine n’est pas encore rentrée, pourrais-tu faire un saut à l’école, voir ce qui se passe ?

de sa femme légitime), sur son cellulaire, à quelques six mètres de la pompe à laquelle on le servait.

Poursuivant son automobiliste récalcitrant, le policier en uniforme s’imagine franchir une porte en verre (laissée grande ouverte) et se fracasse le nez contre un miroir (qu’on avait oublié d’éteindre).


Pauvres


Au lieu d’hiberner tranquillement dans leur taudis, à partir du 20 du mois, parce qu’ils n’ont plus de quoi s’acheter autre chose que des spaghettis, de la bière et des hamburgers génériques, certains pauvres se permettent de fouiller les poubelles des bistrots, des restaurants, des hôtels et des missions diplomatiques.

- Pour y dégoter une cannette de bière, un repas (sans arêtes et sans plumes, si je puis exprimer une préférence) (avec de la couenne et des os, si Dieu le veut), un lit, un passeport !

Ils fouillent également les poubelles des sacristies et des hôpitaux

- Dans l’espoir d’y trouver des hosties, des vaccins et des médicaments gratuits.

Ça ne les empêche pas

- Qu’est-ce que ça nous rapporte ?

d’être arrogants et de refuser d’être filmés !


Les gens bien (un candidat sur la liste du bourgmestre, un éducateur canin, un gendarme retraité et même une ancienne déléguée de classe et cheftaine de louveteaux) ne veulent plus de pauvres dans leurs rues.

- Bloquons la circulation piétonnière et rendons nos trottoirs impraticables aux va-nu-pieds !


Filles de pauvres


Les filles de pauvres (nées dans l’East End, à Saint-Josse-ten-Noode ou à Kingasani ya suka, dans la commune de Kimbanseke) n’ont jamais eu droit à un repas chaud à la cantine et n’ont jamais non plus reçu de quoi se payer se payer un sandwich ou un frites-mayo dans un snack de la rue Willems ou des beignets chez une vendeuse officiant au pied d’un mur, à la sortie de l’école…

Elles ont été tringlées par leurs oncles et leurs voisins… et par l’épicier, le curé et le boucher du quartier (où les parents, hypocrites et désargentés

- Va donc, ma fille !

les envoyaient acheter à crédit, des spaghettis, du crédit et du hâché de porc) et toute la bande des jeunes du quartier. Elles n’ont jamais été le premier amour de personne. Elles sont petites de taille et ont

- Anorexie ?

- Kwashiorkor !

le bassin trop étroit. Quand elles tombent enceintes (un conflit les oppose à leurs fœtus qui ne cessent de croître et les bouffent de l’intérieur, comme un vilain cancer) et que l’avortement a foiré et que l’accouchement ne se passe pas bien, elles ne peuvent pas s’offrir de césariennes et préfèrent mourir en couches.

Et si jamais la « chose » arrive quand même à maturité, le curé rechigne

- Comment ça ? Les curés n’ont plus le droit de divorcer maintenant ?

à verser une pension alimentaire à sa « répudiée » et ne veut plus voir ou entendre parler du fruit de leurs nocturnes assemblées



Voyous


Les Jeunesses rackettent les hommes à putes qui déambulent dans les rues à filles, les Shérifs perquisitionnent (débarquant bruyamment vers six heures du matin, défonçant

- C’est vous la veuve éplorée ? Suivez-nous ! C’est vous les pauvres orphelins ? Suivez-nous !

les portes d’entrée d’immeubles populaires de la rue de la Poste et de la rue Masui à Schaerbeek) (prétendant avoir été menacés par un handicapé mental armé d’un cure-pipes ou d’un cure-dents) (vérifiant

- Un passeport du Niger expiré, une carte de téléphone expirée, un passeport congolais expiré, un permis de conduire de Côte d’Ivoire, un C4, un carnet jaune de vaccination, une annexe 26 bis, un certificat de résidence du Burkina Faso, une carte de tram expirée, un passeport belge en cours de validité, une carte d’électeur du Yémen, un ordre de quitter le territoire expiré…

annulant ou déchirant les « papiers » et documents d’identité des locataires, confisquant les carnets d’adresses, les téléphones cellulaires et les ordinateurs, brutalisant les sous-locataires et

- Ils ont fouillé partout ! Ils ont même vidé le contenu du réfrigérateur ! De quoi devions-nous être coupables (avoir volé un rouleau de papier hygiénique dans un bistrot, cassé la chaîne de la bicyclette d’un veilleur de nuit, défoncé la poubelle d’une friterie, attaché du papier peint avec du scotch) ? On ne savait pas ce qu’ils cherchaient !

embarquant

- Où habites-tu ?

- Près de l’église Saint-Esprit d’Aféyé-Kpota, à Atakpamé, derrière l’antenne de la Météo…

les sous-sous-locataires), les Hommes en armes établissent des périmètres de sécurité (incluant le palais du roi ou du président, le parlement, les bureaux du premier ministre, la cathédrale ou la grande mosquée, la banque centrale, le palais de justice, la nonciature apostolique et les ambassades, les grands magasins, les beaux quartiers, la centrale électrique ou nucléaire, les tours de communication et l’aéroport), les Sous-Nationalistes chantent l’hymne sous-national, les Volontaires hurlent et défilent, les Supporters ovationnent et invectivent, les Skinheads lancent des œufs pourris, des boules de pétanque et des billes métalliques sur les syndicalistes, les Pionniers violent (un jeune garçon de 13 ans, sourd-muet

- Oui, mais il n’était pas aveugle !

dans un terrain vague, entre la morgue de l’hôpital militaire et le cimetière des vétérans), les Uhlans et les Cosaques chargent, les Anciens combattants

- Les soldats surgissent en nombre. Ils investissent la ferme, débusquent les familles réfugiées dans la cave, ligotent tout le monde, emmènent les hommes (vieillards, adultes, enfants) vers une colline située à environ deux kilomètres. Un hélicoptère atterrit pour embarquer les otages. A la dernière minute, faute de place disponible, les soldats libèrent un enfant.

brandissent des décorations, les Patriotes agitent des drapeaux, les Soutanés bénissent des cercueils et des canons, les Sermonnaires lancent des anathèmes, les Ratichons ordonnent de casser les statues et de déchirer les images, les Corbeaux excommunient et mettent le feu à des livres…

C’est

- On lâcherait des colombes ? Elles ne sauraient pas où aller ! Et, de toute façon, elles se feraient flinguer

la guerre !


Des tirs à l’arme lourde ont été entendus du côté de la frontière.

Une caserne et un poste de police auraient été attaqués. Quinze vaches auraient été abattues par des militaires. Un soldat aurait tiré sur un civil qui refusait de transporter pour lui un régime de banane volé dans un champ. Plusieurs femmes auraient été violées par des hommes en armes. Un troupeau d’éléphants en débandade, poursuivis par un gang de dentistes, aurait ravagé une cinquantaire d’hectares de manioc et détruit de nombreux dépôts de produits agricoles. Des plantations de maïs auraient été attaquées par des chenilles et des criquets affamés.

Des hélicoptères, volant en rase-mottes (pour échapper aux tirs de missiles portables), ramènent vers l’arrière les corps des soldats qui sont morts en chantant. Les officiers ordonnent l’exécution immédiate des blessés qui ont reçu

- Des lâches, des fuyards !

une balle dans le gras des fesses.



Un Niacirema


Des paysans mal armés (et des enfants jetant des pierres avec leurs frondes, lançant des bâtons taillés en pointe, brandissant des manches de pioche et des tournevis) réussissent enfin à abattre l’hélicoptère qui, tous les jours, depuis près d’une semaine, à la tombée de la nuit, avant de rentrer à sa base, survole le village en rase-mottes et nargue ses habitants et s’amuse à tirer quelques rafales d’armes automatiques sur le minaret de la mosquée et sur la place du marché.

Pour s'amuser et pour humilier et pour terroriser.

Le pilote

- Un Niacirema !

parvient, avec peine, à s’extraire de la carcasse de l’engin ravagé par les flammes. Les jeunes gens hurlent de joie, dansent, applaudissent, lèvent les bras en l’air, se saisissent de la crapule (le pantalon déchiré, la veste en feu, le visage ensanglanté), insultent et giflent le pervers, crachent à la gueule et mordent les couilles de l’ignoble, boxent et rouent de coups le salopard, empoignent et exhibent le lisier de porc (en le traînant par les pieds), comme un trophée, dans les rues du village.

Puis des vieux s’interposent, interviennent, délibèrent

- Faut-il livrer le malfaisant aux « autorités » ou vaut-il mieux abattre le scélérat sur place ?

votent et prennent la décision

- Un bon Niacirema est un Niacirema mort !

d’exécuter le vipérin

- Deux balles dans la tête, tirées à bout portant, par un fusil à pompe !

sans attendre

devant toute la population rassemblée sur la place du marché

juste en face des bâtiments en ruines de la mosquée.