dimanche 2 mai 2010

AnaCo 1 - L’administration est-elle tenue de délivrer un acte de décès à des sans-papiers ?

Didier de Lannoy
La vie au taux du jour
Dépêches de l'agence de presse privée Ana et le Congo (AnaCo) - Série 1
Première compil de dépêches (déchaussées, divagantes, yoyotantes) de l’agence de presse privée AnaCo : dépêches (littérature « immédiate », sketches interactifs, croquis à la carte ou dazibaos bringues-zingues-dingues, que sais-je…) dont certaines ont déjà été placardées sur internet ou spammées sur Outlook… dans lesquelles je m’autorise à exercer, en toute liberté, mon droit de citoyen de me mêler de n’importe quoi… et surtout d’ « affaires » dont on m’a bien fait comprendre que je n’y connaissais rien et qu’elles ne me concernaient pas du tout… et que j’avais plutôt intérêt à fermer ma grande gueule.
Nassogne (Badja), Matonge (Bruxelles), 2006-2007
Extraits - En vrac



Sur l'agnace AnaCo, voir aussi:
http://anaco2.blogspot.com/

et
http://anaco3.over-blog.net/

Sur le Congo, voir aussi (notamment):




L’administration est-elle tenue de délivrer un acte de décès à des sans-papiers ?



Ce matin, vers sept heures trente, dix-neuf personnes téléphonent à la police pour signaler la présence, aux portes de chacune des communes de la ville de Bruxelles et dans les principales stations de chemin de fer de plusieurs cohortes de gallinacés, piailleurs et revendicatifs, qui brandissent des calicots agressifs, investissent nos églises et

- Et même nos maisons de la laïcité !

nos mosquées, nos temples et nos synagogues.

Et menacent de picorer les fesses, de crever les yeux et de croquer les couilles de nos trafiquants de main d’oeuvre et de nos marchands de sommeil. Et de leur jeter la foudre et de leur gonfler les tripes jusqu’à l’explosion de l’abdomen.

Et menacent de mettre à la lanterne (tandis qu’un flic

- Nooon ! Pas celui-là ! Il est des nôtres ! Ne cassez pas sa caméra ! C’est un appareil de l’Etat !

en civil filme ou photographie la populace et qu’une pseudo-chercheuse en sciences sociales fait mine d’interviewer les factieux pour repérer les meneurs…) nos valeureux indicateurs et nos exemplaires fonctionnaires de police.

Et menacent de manifester depuis notre gare du Nord jusqu’à notre gare du Midi en passant par notre place des Martyrs, notre théâtre de la Monnaie, nos Galeries de la reine, notre Grand-Place et notre Bourse.

Et menacent d’investir notre Pentagone.

Et menacent de squatter notre siège de l’OTAN, notre Parlement européen, nos bureaux de notre Premier ministre, notre résidence de notre Roi à Laeken, notre Berlaymont, notre cathédrale Sainte-Gudule, notre Atomium, notre Juste-Lipse et notre Musée de l’Armée

Et menacent de faire tomber notre Godefroid de Bouillon de son cheval.

Et menacent de se joindre, en se trémoussant, à notre Jazz Marathon et notre Zinneke parade.

Et menacent de s'abreuver à nos fontaines publiques et d'y remplir leurs bouteilles en plastique, les gourdes de leurs vieux et les biberons de leurs bébés et d'assécher les burettes de notre Manneken-Pis.


Mais qui sont-ils ce gens-là ?

Sans doute des Albanais de Namur ou d'Anvers, des Iraniens de Bruges ou d’Ecaussinnes, des Congolais d’Anderlecht ou d'Arlon, des Slovaques de La Louvière ou de Gand, des Algériens de Saint-Gilles ou de Morlanwelz, des Afghans d’Ixelles ou de Genk, des Bulgares de Mont-sur-Marchienne ou d'Ostende, des Pakistanais de Liège ou de Charleroi.


L’autorité politique, ecclésiastique, judiciaire, culturelle et militaire prend peur et

- A quel type de teint répondent-ils (européen du nord, méditerranéen, indien, africain, chinois, maghrébin, tsigane, mulâtre, japonais, moyen-oriental) ? Quel type de chapeau portent-ils (bas nylon, béret, bonnet, turban, cagoule, kippa, fez, auréole, casque, écharpe, foulard, casquette à l’envers ou de travers) ? Sont-ils pileux et corpulents ? Portent-ils des cicatrices ou des tatouages ? Leurs yeux sont-ils atteints de strabisme ?

donne l’ordre de stopper la progression de la gueusaille.

- On ne sait pas qui ils sont ! On ne sait même pas d’où ils viennent ! On ne sait pas quelles maladies ils transportent ! S’ils ont la tuberculose ou s’ils véhiculent le virus de la grippe aviaire ! On sait seulement qu’ils se reproduisent compulsivement et qu’ils peuvent avoir plusieurs portées par an !

Et d’éradiquer la racaille. Immédiatement.

- Ils n’ont même pas trois slips et deux paires de chaussettes de rechange ! Leurs enfants ont des poux et ne vont pas à l’école ! Quand vient l'hiver, ils se chauffent au charbon (et ça fout de la poussière partout) ou au carton d’emballage ou aux vieux journaux ou aux palettes et aux cageots de bois (et ça provoque des incendies) ! Ils occupent nos lieux de culte et de recueillement (et y font entrer leurs cafards, leurs moustiques et leurs rats) ! Ils viennent faire la grève de la faim chez nous alors qu’ils n’ont même pas de quoi manger chez eux ! Ils ne paient même pas leurs factures d’hôpital et de cantine lorsqu’on envoie nos flics rompre leur jeûne et nos médecins les alimenter de force !

On canalise les semeurs de troubles avec l’aide de chiens policiers

- Y a-t-il des chiens de gauche comme il existe des chiens de droite ?

drogués, on ceinture les insoumis, on embarque les mutins, on parque les séditieux dans un stade de football, un superparking de centre commercial ou un drive-in désaffecté et on

- L’administration est-elle tenue de délivrer un acte de décès à des sans-papiers ?

fauche les réfractaires à la mitrailleuse ? Par dizaines.

Mais ils continuent de débarquer ? Par centaines.

D’ailleurs et de partout. ?

Par milliers.


Un couple et un paquet


A son retour du restaurant (un dîner romantique avec des chandelles, du champagne, des pralines et

- Pour assurer l’ambiance !

un orchestre de variétés), vers une heure trente du matin, après de fougueuses embrassades baveuses et quelques explorations corporelles pataudes, le couple (une femme et un homme) (et un paquet), complètement pété

- Fais-moi rire !

s’est violemment disputé. Le vieux Youssef, en effet, avait

- Pas tout de suite, mon amour ! Rastreins ! Calme ta joie ! Tu pourrais attendre quelques semaines encore, non ? Que ça se referme et que ça cicatrice…

refusé son corps à sa jeune épouse (qui se jetait à son cou, lui griffait le dos, lui léchait le visage, cherchait à le culbuter et à l’enjamber). Et la garce, furieuse

- Voilà ce que c’est que d’épouser son domestique, il ne travaille plus comme avant !

et désappointée, avait

- Paresseux ! Ce n’est pas parce que tu me nourris que tu ne dois pas me faire rigoler !

déposé son paquet au bord du chemin et avait

- Défaillant !

mis la main dans la culotte du bienfaiteur et avait

- On ne confond pas les merguez de Mostaganem et les saucisses de Toulouse, quand même !

secoué l’asticot du nourricier comme on agite une salière vide et avait

- C’est bien trop petit pour être mangé !

piqué une crise d’hystérie et avait

- Réveille-toi, quoi ! Sois branquignol, chabraque et truculent ! Divertis-moi, turlupine-moi, histrionne-moi !

roué de coups le protecteur et avait

- Satisfais-moi ou je te chacrote ! Ou je t’ablationne les amygdales ! Ou je t’embroche les testicules !

menacé de

- Ou je te pète l’oignon !

violenter le souteneur avec l’embout métallique d’une canne oubliée (dans une mangeoire ou sous un tas de fumier pailleux) par un des travailleurs saisonniers ou vendeurs ambulants (placiers clandestins de faux or, de myrrhe de contrebande et d’encens frelaté) que les deux bouseux (et leur paquet) avaient accueillis, pendant près d’une semaine, dans l’étable qu’ils squattaient aux environs de Bethléem.

En raison de la gravité des sévices subis, le vieux Youssef aurait normalement dû être soigné à l’hôpital général de Jérusalem mais l’armée romaine d’occupation

- Que tout le monde sorte de la voiture et s’aligne au bord de la route ! Que le blessé justifie l’origine de ses meurtrissures ! Que la femme du terroriste ouvre et défasse son paquet (retirer la barboteuse, enlever les couches, renifler les selles, les écraser avec une fourchette) ! Que la poufiasse produise, à l’appui de ses dires, une analyse ADN ou un certificat de conformité et de traçabilité de l’avorton !

s’est opposée au passage du taxi collectif faisant office d’ambulance.

On a donc vu le vieux Youssef tourner comme un derviche (dans l’autre sens de l’aiguille d’une montre), tomber, se relever, sautiller, se tirer une balle dans le pied, défaire le nœud de sa cravate, jeter son cartable dans une poubelle, laisser tomber une savonnette dans la baignoire, pédaler toute la nuit dans les pinèdes et les garennes des environs. En boitant, en geignant et en se tordant de douleur. Et en gueulant qu’il n’était pas l’auteur de la neuvième symphonie de Beethoven. A l’aube, il s’est finalement écroulé, abattu par de riches colons qui revenaient, ivres et bredouilles, d’une chasse à l’affût.

Et le bébé

- Qu’est-ce que Maman peut bien faire d’un homme comme ça ? Elle n’a rien à en retirer ! Tant qu’elle reçoit des aides sociales et qu’elle a de quoi vivre, un homme comme ça (sans travail, exclu du chômage, vivant de petits boulots de magasinier, excommunié pour avoir pissé sur les murs du temple ou de la synagogue, même pas propriétaire d’un lopin de terre à jardiner) n’est pas indispensable !

surdoué (ayant encore de la roupie dans les oreilles mais maîtrisant déjà, à la perfection, le français du XIXe siècle) de se dépaqueter tout seul (comme un papillon s’extirpe de sa chrysalide) et de s’écrier, presque joyeusement.

- Maman, on vient de bouffer ton vieux barbeau ! Tu vas pouvoir te faire saillir par un vrai mecton (plein de fric et bien sapé) et toucher mon allocation d’orphelin !

Cette nuit-là, beaucoup de gens faisaient la fête à l’extérieur. Il faisait froid et pourtant doux. La nuit était claire et le ciel étoilé. L’armée romaine d’occupation, dont les camions n’arrêtaient pas de patrouiller dans les rues du centre-ville, avait interdit de programmer des films X à la télévision. Les conscrits glissaient de vieux journaux sous leurs vêtements d’uniforme pour éviter d’attraper la crève. C’était la nuit de la Saint-Valentin.


Une poupée et des sardines


Une poupée ayant servi à des envoûtements a été désacralisée.

Elle gît, à présent, abandonnée, désadaptée, désactivée, désaffectée, dans un recoin de la chambre d’une petite fille… laquelle , en quelques mois, a pris du poids et de l’âge.


Tandis que des sar-

- Dans une boîte ?

dines se ser-

- Terrorisées ?

rent frileusement les unes contre les autres



Des chaussures dépareillées ont traversé à la nage le détroit de Gibraltar


Des dizaines de chaussures dépareillées…


Des chaussures et des jouets d’enfants… des ustensiles de cuisine, des matelas crevés, des ghanagos remplis de vêtements crasseux et de couvertures malodorantes… des agendas décolorés (avec des noms, des adresses et des numéros de téléphone)… des bibles porteuses d’odeurs de cadavres… des corans… des cadavres ballonnés…


ont-elles traversé à la nage, nuitamment, le détroit de Gibraltar et ont-elles fini par échouer, avec la marée haute, sur une plage de Coxyde ou de Scheveningen… où des femmes nues, couchées sur le ventre, louent leurs fesses comme emplacements publicitaires ?

- On ne brûle pas les chaussures qu’on trouve sur la plage, on les enterre, il y a des boîtes pour ça, non ?

- Même si elles sont maladives, porteuses de maladies inconnues… et peut-être contagieuses ?

Après une violente tempête, l’arche de Noë a-t-elle fait naufrage au large de l’île de Terschelling, dans le nord-ouest des Pays-Bas ?

Et des grenouilles

- Ne les laissez pas entrer dans votre maison ! Ne les invitez pas à s’asseoir ! Ne leur offrez pas à boire ! Ne tuez pas une poule en leur honneur ! Ils se croiraient votre égal !

ont-elles sauté dans la neige. Pendant des heures et des journées entières. Pendant des semaines et des mois. Sur des milliers de kilomètres. De Kaboul ou de Mossoul à Heidelberg ou à Strasbourg en passant par Bakou.



Le cimetière des clandestins


On change les idées des gens en les amenant au cimetière des clandestins (enterrés dans des caves, des conteneurs ou des parcs industriels) (faute de places dans les cimetières officiels où personne ne peut entrer sans présenter au préposé un certificat de baptême visé par Monseigneur l’évêque et une carte de citoyen en cours de validité) (ou, tout simplement, pour ne pas payer la taxe d’inhumation).

Trois moutons scrofuleux et deux chèvres lèpreuses escaladent un tas d’ordures ménagères et suivent un convoi funéraire furtif jusqu’à une fosse commune officieuse. Au retour de la cérémonie, la foudre s’abat sur le cortège, tuant sur le coup trois personnes et en blessant plusieurs autres. Les croque-morts décrochent à coups de crosse, de matraques et de crucifix les mains et les doigts qui s’agrippent au corbillard (tracté par un cheval cachectique) et qui tentent d’y monter

- Amenez-nous ! Pitié ! Ne nous laissez surtout pas ici !

pour voyager à l’abri de la pluie diluvienne et, surtout, pour échapper aux tourments que les revenants ne manquent pas de faire subir aux visiteurs qui s’attardent. En rentrant du cimetière, le cheval, houspillé par les manifestants (qui agitaient des calicots vengeurs et revendicatifs), pressé par le cocher (qui le frappait et l’insultait), se rend coupable d’un excès de vitesse, trébuche et provoque un accident la circulation, entre les avenues Kimpuanza et Mbanza-Lemba, deux accompagnateurs trouvent à leur tour la mort.

Un chat errant

- Un chat policier, ça existe ?

mâchouille distraitement une capote éclatée (éclatement dû, probablement, à la surchauffe d’un caoutchouc sous-gonflé) et, sans en avoir l’air, surveille les alentours et signale ces nouveaux cas de cadavre (et tous les autres faits déplorable dont il vient d’être le témoin) à la police nationale congolaise et au directeur de la morgue des cliniques universitaires de Kinshasa.

De son côté, un vieux chien sans laisse ni collier, originaire du village de Makena, dans le territoire de Luilu (au Kasaï-Oriental), prend plaisir à déféquer (des pierres précieuses, des parfums rares et des baies fermentées ?) sur l’énorme champ de détritus, de trois mètres de haut, puant l’œuf et le chou pourris, qui obstrue l’avenue des Marais, près du marché central.


Un pigeon est retrouvé mort dans son appartement


Un pigeon

- Ça faisait trois ans que je lui écrivais et qu’il ne me répondait plus !

est retrouvé mort dans son appartement-mansarde (lucarne fermée, odeurs séchées, murs défraîchis, tâches de moisissure), au dernier étage d’un immeuble, sous les combles.

On a découvert

- Comme s’il venait de tomber de ses mains !

un cadeau d’anniversaire (qui n’avait pas été déballé) et un panier d’œufs durs barbus (qui n’avaient pas été pelés) au pied du canapé où le cadavre était assis, en short (le short lui descendant à la moitié du caleçon) devant la TV. Et l’écran du téléviseur était toujours allumé.

- Et, en trois ans, personne ne s’est jamais inquiété, ni les « familles », ni les voisins, ni le facteur, ni les éboueurs, ni la personne qui avait offert un cadeau (mais peut-être se l’était-il offert lui-même ?), ni Electrabel, ni Sibelgaz, ni Brutele, ni les Témoins de Jéhovah, ni la société propriétaire de l’immeuble ?

Ça se passait à Ixelles ? Rue De Witte ou rue du Belvédère, rue de la Digue ou rue des Cygnes ? Dans un logement social laissé à l’abandon ? Aux environs de la place Flagey ? Pas loin des étangs ? Près du Belga (où vont les gens de bonne culture) et de l’église Sainte-Croix (et de bonne religion) ?

La période de décès a pu être estimée en examinant les dates de péremption des aliments périssables (lait, beurre, fromage, charcuterie, etc) et des médicaments retrouvés dans le frigo (toujours en état de marche) et des boîtes de tomates et de corned-beef rangées sur les étagères de la kitchenette.


Mines de retraite


Coup de grisou ou explosion d’une poche de méthane dans une mine de charbon

- En Chine ou en Turquie ? En Espagne ou en Belgique ? En Ukraine ou au Kazakhstan ?En Sibérie ? Dans la région de Kouban ou de Kemerovo ?

ou dans une maison de retraite….

- La clef de la principale sortie de secours était introuvable !

17 mineurs ont été tués et 5 autres blessés. La majorité des résidents dormaient. Ils ont été surpris dans leur sommeil


Une province du Congo


On dit que la Belgique est le pays des ogres qui volent les chats et les petits enfants. On dit que la Belgique est une province du Congo qui a fait sécession en 1960.


On dit que le Congo n’y a pas perdu grand-chose et que la Belgique, à tout crin, ne représente que

que deux chefferies… la chefferie wallonne et la chefferie flamande

et un centre extra-coutumier… Bruxelles et ses dix-neuf quartiers.


On dit à présent

- Oh moi, tu sais, du moment qu’on me présente mon écuelle à moments fixes, quatre fois par jour… Quand mes parents amènent leur marmaille en pique-nique, se disputent, se tirent la gueule et divorcent sur le champ, dans la savane ou en pleine forêt, j’emboîte toujours le pas de celui qui porte le panier du casse-croûte…

que la Belgique quitte la Belgique et qu’elle va, sans doute, devoir s’installer ailleurs.