dimanche 2 mai 2010

AnaCo 1 - Ya Mukolo

Didier de Lannoy
La vie au taux du jour
Dépêches de l'agence de presse privée Ana et le Congo (AnaCo) - Série 1
Première compil de dépêches (déchaussées, divagantes, yoyotantes) de l’agence de presse privée AnaCo : dépêches (littérature « immédiate », sketches interactifs, croquis à la carte ou dazibaos bringues-zingues-dingues, que sais-je…) dont certaines ont déjà été placardées sur internet ou spammées sur Outlook… dans lesquelles je m’autorise à exercer, en toute liberté, mon droit de citoyen de me mêler de n’importe quoi… et surtout d’ « affaires » dont on m’a bien fait comprendre que je n’y connaissais rien et qu’elles ne me concernaient pas du tout… et que j’avais plutôt intérêt à fermer ma grande gueule.
Nassogne (Badja), Matonge (Bruxelles), 2006-2007
Extraits - En vrac



Sur l'agnace AnaCo, voir aussi:
http://anaco2.blogspot.com/

et
http://anaco3.over-blog.net/

Sur le Congo, voir aussi (notamment):


Ya Mukolo


La victime et le suspect


Echanges de propos vifs et discourtois.

La victime et le suspect en sont venus aux mains. La victime a attrapé le suspect à la gorge et

- Je te tiens, mon salaud ! Ça va être ta fête !

n’a plus voulu le lâcher. Ne parvenant pas à se libérer de l’étreinte de la victime, le suspect est devenu tout rouge et a commencé à éprouver de sérieuses difficultés à respirer.

Des amis du suspect se sont rapidement portés à son secours et ont cogné, cogné, cogné la victime jusqu’à ce qu’elle relâche le suspect. Le suspect a alors

- A mon tour, connard ! Qu’est-ce que tu vas me sentir !

frappé, frappé, frappé la vic-

time qui s’est as-

sise sur un banc, a pous-

sé un soupir et est dé-

céd-

ée


Que cherchaient-ils ?


En août de cette année, un internaute affaibli a été retrouvé sur les côtes du Maine.

En juillet de la même année, un surfeur épuisé s’était échoué sur les côtes du Fujan, dans le sud de la Chine tandis qu’un blogueur déshydraté avait été recueilli sur une plage d’Ecosse.

D’où venaient-ils ? Que cherchaient-t-ils ? Quels nouveaux territoires

- Après avoir inventé l’Asie et l’Amérique, Marco Polo entreprendrait-il un troisième voyage qui le conduirait en Afrique ? Se proposerait-il, à présent, de découvrir l’embouchure du fleuve Congo ?

avaient-ils pour mission d’explorer ?


L’hippopotame et les piroguiers


Un hippopotame surnommé « Ya Mukolo » (dont une partie du) (cerveau dormait tandis que) (l’autre veillait et) (continuait de) (respirer paisiblement et) (refusait de) (s’abîmer dans des rêveries frivoles et décadentes) faisait la sieste et reposait son gros bide et ses couilles boursouflées dans une vase fraîche et moelleuse, en eau peu profonde.

Trois, deux ou quatre pirogues motorisées, entravées l’une à l’autre (par le cou, la taille et les mollets) avec soixante-neuf personnes à bord (non compris les matelots, le mousse, l’hôtesse, le steward et le commandant de bord) et des paniers et des bottes et des fagots et des ballots de produits agricoles (des haricots, des cossettes de manioc, de la canne à sucre, du paddy, du maïs, des arachides fraîches, du pondu, du bitekuteku, du poisson fumé, du singe boucané et du crocodile muselé) et des jerrycans et des touques d’essence et des bidons et des tonneaux d’huile de palme et des calebasses et des dames-jeannes de lotoko et des racines un peu « spéciales » (du genre de celles qui ont tué Komoriko !) et de nombreux sacs (de sel, de ciment, de charbon de bois et de chanvre) en tout genre, lui sont montées sur le dos à

- Oh !

quelques mètres de la rive.

- Oooh !


De très méchante

- Comment osez-vous, Messieurs (et permettez-moi de présenter mes respectueux hommages à ces charmantes dames et demoiselles qui vous accompagnent et doivent souffrir votre compagnie !), me déranger ainsi pendant que je me délasse et troubler ainsi un sommeil que j’ai bien mérité ?

- Pardon Vieux (dégage, on n’a pas que ça à faire, tête de bite !) (bouge ton cul, gras du bide, on bosse, quoi !), faut comprendre !

humeur, l’hippopotame a

- Faut comprendre ? Il n’y a rien à comprendre ! Sachez que vous commencez à me gonfler, Messieurs ! Et que vos explications ne me donnent guère satisfaction !

de plusieurs

- Wallaai !

violents coups

- Wallaai !

de rein, renversé les pirogues surchargées et projeté l’équipage

- Et les matelots, wallaai ! Et le mousse, wallaai ! Et le steward, wallaai ! Et le commandant de bord, wallaai ! Et même l’hôtesse, wallaai !

et les marchandises

- Et quinze sacs de sel, wallaai ! Et une dizaine de sacs de ciment, wallaai ! Et six sacs de makala, wallaai ! Et deux sacs de bangui, wallaai ! Et les dame-jeannes et les bidons, wallaai ! Et une botte de racines, wallaai !

et les passagers dans le flotte.

- Et les femmes commerçantes, wallaai ! Et les cultivatrices, wallaai ! Et les chasseurs sans permis, wallaai ! Et les cantonniers et les maçons et les charpentiers sans outils, wallaai ! Et les soûlards et les fumeurs de chanvre, wallaai ! Et un élément de la police nationale (qui n’avait même pas payé sa place) et un chef de groupement (lui non plus), wallaai !


Aucun perte en vie humaine ou hippopotamienne n’a cependant été déplorée.

- Et qu’est-il advenu du riz, du sel, du ciment, du charbon de bois et du chanvre ?

- Foutus !

- Et des dames-jeannes de lotoko et des racines aphrodisiaques ?

- Repêchées !


Au pays de la Haine et de la Trogne, les flics lisent des recueils de poèmes pendant les heures de service


Les écrits

- Vous avez vu ça ?

du poète Alain Duveau sont toujours

- Comment ne pas le soupçonner ?

en lecture au commissariat de police.

Les enquêteurs de Mons, travaillant avec ténacité à débrouiller l’affaire du « dépeceur de Mons », n’ont pas fini d’examiner les textes d’Alain Duveau et d’en faire l’exégèse.


L’auteur sera bientôt

- Qu’il s’explique !

entendu par les services compétents.


Un lundi et un mardi


A Rhode-Saint-Genèse, lundi, quand des voleurs pénètrent dans une maison de la chaussée d’Alsemberg, ils chouravent

- Sans doute les escogriffes étaient-ils fatigués ? Sans doute avaient-ils fait la fête, la veille et l’avant-veille, à Couleur Café ?

une cafetière.

A Schaerbeek, lundi, des ouvriers communaux retrouvent, serrés l’un contre l’autre, dans un même sac

- Un couple ?

deux pistolets d’alarme qui se cachaient dans les égouts du parc Josaphat.

A Uccle, lundi, un incendie de toiture

- S’agissait-il d’un toit en tôles ondulées rongé par la rouille ?

provoque la destruction d’une luxueuse villa de l'avenue du Prince d’Orange.


Des lundis comme ça, on s’en taperait bien tous les jours !


Mais le lendemain, mardi, à Auderghem, le bourgmestre

- J’assume complètement ! Il y avait des problèmes de santé, d’hygiène ! Un seul WC pour tout le monde et pas de douche, vous pensez…Et même plus de papier dans les toilettes !

ordonne à la police d’évacuer de force les quarante-huit sans-papiers qui logeaient dans l’église Notre-Dame Immaculée et les fait transporter (menacer, menotter, molester, injurier) au commissariat central de la rue Démosthène et leur fait administrer un tranquillisant (bousculer, corriger, museler, entraver) sur une aire de parking de la caserne des pompiers de l’AZ-VUB de Jette et s’abouche avec l’Office des Etrangers

- Ce n’est pas un geste politique mais un acte de salubrité et de sécurité !

en vue d’organiser le transfert immédiat des « contrevenants à de nombreuses lois du peuple belge » à Vottem ou à Steenokkerzeel et leur expulsion rapide et prend la décision de fermer

- Polluée par des microbes ! A désinfecter d'urgence !

l’église.


Poursuivie par un vicaire


Atteinte, depuis l’adolescence, d’une grave

- L’obsession du cancer du pis (dont souffre la vache laitière) ? La psychose du bris du dentier (dont est victime la chienne enragée) ? L’apparition hallucinatoire d’un petit Jésus en maillot de bain et portant un tatouage sur le zizi (dont pâtit l’étudiante des bonnes sœurs du Sacré-Cœur) ?

maladie mentale et quasi-vénérienne, poursuivie par un jeune vicaire boutonneux (diplômé en exorcisme et titulaire d’une autorisation de délivrer les derniers sacrements, membre actif de l’Association des Anciens du Petit Séminaire de Kabwe, ASPK) qui voulait lui foutre une baffe parce qu’il l’avait surprise en train d’embrasser un garçon à la sortie de la grand-messe, elle a réussi à se débarrasser du vilain ensorceleur et s’est finalement réfugiée dans un lupanar de Bogota (ou chez madame Kerry, agressive et affectueuse, tenancière d’un bordel australien digne de confiance) où

- Grâce à sa silhouette de mère porteuse, en forme de sablier !

elle a réussi à décrocher un job 24/24

- On change les draps (on les lave et on les repasse) pendant la journée!

à temps plein

- Et, la nuit, on les souille !

de femme en chambre.


Sauf mais orphelin


J’ai voulu rattraper mon chien.

C’est un coup de klaxon

- Quel est le prédateur ou le diable qui partage mon territoire ?

qui l’a effrayé et il s’est mis à courir comme un fou en direction du parc de la Woluwé et… à pénéter dans la parcelle d’une femme à partenaires multiples du quartier ex-Cito et… à se jeter sur la nourriture qu’elle venait de préparer pour son amant (un « élément » de la police nationale) et à mordre les fidèles tondus et les collecteurs tondeurs d’une église du réveil (et à ronger hargneusement le mollet d’un cadavre, encore frais, exposé à la dévotion des foules).

J’ai voulu le retenir et le rattraper et je me suis précipité et je me suis fait bousculer et renverser par un tram qui descendant l’avenue de Tervueren ou par un taxibus qui desservait la ligne Victoire-Unikin

Mon chien est sauf. Mais

- Il a tiré mon corps sous un châtaigner ou sous un manguier. Pour me mettre à l’abri des véhicules. L’effort et la douleur lui ont donné de l’appétit. Il ne m’a pas dévoré le nez, les oreilles ou les couilles. Je lui ai, en effet, donné une excellente éducation végétarienne (si bien qu’il mord les chairs des gens mais ne les mange pas vraiment). Il s’est contenté de cueillir ou de ramasser quelques châtaignes ou quelques mangues et de les becqueter avec férocité en attendant l’arrivée des flics et des ambulanciers !

orphelin.


Les nudistes ont le cul propre


Plusieurs plages de la côte flamande (polluées par des bactéries d’origine fécale) ont été « fermées » et font actuellement l’objet d’une interdiction de baignade décidée par les autorités.

Sauf la plage « Bredene De Duinpan », réservée aux nudistes

Les nudistes se lavent bien le cul

- Un cul, un beau cul, ce n’est jamais qu’une machine à fabriquer de la merde, une bétonnière, non ?

avant d’aller se baigner



Un lièvre et un chameau


Un chameau, désespéré, s’est jeté sur une voiture, en Israël

Tandis qu’en Belgique (où des ogres, en panne d’affection mais pas d’appétit, volent des chats et des petits enfants), un chauffard en scooter

- Un gravillon a-t-il fait exploser la visière du casque du tankiste ? Ou le machiniste est-il entré en collision avec un oiseau qui volait à basse altitude et se trouvait en état d’ébriété ? Ou l’écraseur avait-il mis un peu d’éther dans son essence et filait-il à plus de cent quarante kilomètres à l’heure ?

a perdu le contrôle de son engin, est sorti de la piste 35 de l’aéroport de Bipemba (à Mbuji-Mayi), a fini sa course dans un ravin et a renversé un lièvre

- A-t-on idée d’habiter à 58 mètres de la piste, alors que la distance requise est de 600 mètres, selon les normes internationales !

qui prenait l’air à l’entrée de son terrier.

- N’importe quoi ! Les lièvres n’ont pas de terrier !

Le scooter

- Il n’était pourtant plus qu’à cinq kilomètres de chez lui ! Et venait de renouveler son assurance !

- Doit-on toujours mourir loin de chez soi quand on meurt « accidentellement » ou « inopinément » ?

a littéralement été coupé en deux


L’intrus


Depuis quelques semaines un promeneur sème la panique dans les bois de Nassogne, en Ardenne. Il cueille, rapine, arrache (les myrtilles, les fraises sauvages, les champignons, les mousses). Il ne se tient pas à distance des trous, des failles, des grumes et des souches, des grottes, des crevasses, des ravins, des sources et des ruisseaux. Il se rapproche dangereusement des nids

- Les oisillons, peureusement, se tassent les uns sur les autres, rentrent les épaules et baissent la tête pour qu’on ne les remarque pas !

des gîtes, des fourrés, des tanières et des terriers creusés sous des talus ou des tas de buches ou de bois mort… ce qui signifie qu’il pourrait bientôt s’en prendre aux nuttons.

A l’entrée des terriers, des lièvres dressent des barricades de sable. Des patrouilleurs s’agitent et courent dans tous les sens


Un intrus, on le sait, commence par bouffer tous les fruits et par tuer tous les oiseaux puis

- Un arbre sans oiseaux, ça ne sert plus à rien !

abat tous les arbres.


L’intrus, apprend-on, aurait déjà creusé des tranchées, placé des lacets, fracturé une chapelle de bûcherons. Des accrochages se seraient également produits le long des haies et des lisières.


L’intrus serait également responsable d’un violent incendie qui s’est déclaré dans une « mise à blanc ». Les pompiers de Saint-Hubert ont dû faire appel à des renforts de Marche en Famenne, Paliseul et Neufchâteau.

Treize hectares ont été détruits.

Des chevreuils, des sangliers, des lièvres et des perdrix ont été piégés par les flammes.

Les services d’urgence et les morgues se sont rapidement retrouvés débordés. Des civières ont dû être entassées dans les couloirs des hôpitaux. Des cadavres ont dû être empilés dans des camions frigorifiques parqués sur des aires de repos.


La sécurité des habitants doit être protégée !

L’intrus doit être éliminé !

Qu’on fasse donner les mouches, les guêpes et les taons !

Qu’on rappelle les serpents, les lynx, les ours et les loups ! Qu’ils se portent à notre secours !


Les pavillons d’octroi de la Porte de Namur


Les anciens pavillons d’octroi de la porte de Namur ont été déplacés à l’entrée du Bois de la Cambre.

Oserai-je suggérer à Jackie la Marraine, candidate (première de la troisième colonne) sur la Liste du Bourgmestre aux prochaines élections communales, d’inscrire à son programme

la cession des pavillons d’octroi à la commune de Matonge ?

et leur installation au croisement de la chaussée de Wavre et de la chaussée d’Ixelles (l’un) et de la rue Goffart et de la chaussée de Wavre (l‘autre) ?


Et qu’y soient désormais (pour financer les activités politiques, économiques, sociales et culturelles de la communauté)

collectés un impôt sur les brocantes, les concerts de musique, les défilés de mode et les fêtes du quartier et

perçues des taxes sur le poisson fumé, le makala, les arachides fraîches, le bitekuteku, le mpiodi (alias chinchard ou thomson), le makayabo, le pundu, le bidon de mafuta ya mbila, le foufou et la kwanga et

prélevée la gabelle sur les sacs de mungwa ya basengi et

ponctionnée une dîme sur les bénefs des dealers (crack, héro, bangui) du Couloir de la mort, sur la rétribution des activités sexuelles des fioti-fioti, des divorcées et des veuves (qui refusent d’être mises au garage ou à la casse), sur le produit des quêtes des prophètes-prédicateurs et sur le chiffre d’affaires des femmes commerçantes (n’hésitant pas

- Molungwe !

lorsqu’il fait trop chaud à retirer leur soutien-gorge pour s’aérer et dégager leurs bourrelets de graisse) qui bossent dans la Galerie d’Ixelles ou transportent, d’un bar à l’autre, des ballots et

- Des ganagos, comme on les appelle de Lagos à Accra (en passant par Cotonou et Lomé, eh !) !

des sacs de voyage remplis de marchandises (pagnes, chemisiers, mèches, produits de beauté, légumes) et

encaissé un droit d’accès aux bistrots, salons de coiffure, agences de voyages, comptoirs de produits alimentaires tropicaux (exotic food, wenze ya Gambela, etc), restaurants de cuisine congolaise (Inzia et Ma Campagne) (chez Monique Fodderie et chez Chantal Kazadi), cafés-ngandas, night-shops, phone-shops, magasins de disques, commerces de wax et autres

- Mais pas de quados ni de ligablos !

boutiques du quartier ?


Jackie la Marraine ne sera pas vraiment convaincue par mes propositions ?

Peut-être aura-t-elle entendu parler des mésaventures du chef de secteur de Bobito qui prétendait effectuer des contrôles de sécurité ou de salubrité à Bunzombali… et encaisser quelques redevances ?

- Un impôt, des taxes, la gabelle, une dîme, un droit d’accès, mes clients ne vont pas aimer ça !

- Oui, mais on ne fera payer que les Blancs ! Ceux qui viennent visiter Matonge ! A pied (un autocar chauffé ou climatisé les attendant à proximité) ! Avec des appareils photographiques, un guide touristique et (s'ils se perdaient en chemin) un plan de Bruxelles ! En troupeau (parce qu’ils ont peur de s’intégrer et de perdre leur identité) !


Après avoir tué tout le monde


A la fin de la guerre, après avoir tué tout le monde, Kata-Kata (avec son tablier d’équarisseur, son couteau de boucher et sa fourchette à barbecue) reviens voir sa belle…

Et la retrouve vivant en couple avec le directeur de l’entreprise de pompes funèbres du village (qui vient de se séparer de son ancienne compagne) et enceinte des œuvres d’un troisième homme, le garde-champêtre ou

- Elle ne sait pas très bien ! Elle n’est pas tout à fait sûre !

le curé de la paroisse, qui sait ?


Qu’est-ce que son devoir et son honneur me commandent de faire à présent ? La massacrer, elle seulement ? Ou bien les crever tous ?

Mais auprès de qui pourra-t-il alors se confesser et qui procédera à mon arrestation et qui enterrera les trépassés et qui leur dira une belle messe ?


Assassinée par son mari (lequel a entre-temps été arrêté

- Conduisez-moi devant le juge d’instruction, qu’il me fasse une pipe !

jugé et condamné pour ce crime), la jeune femme réapparaît, quelques temps après, bien vivante et toujours nue, dans le lit d’un quatrième homme, le médecin légiste ou

- Je ne sais plus très bien !

le juge d’instruction


Le royaume des ânes


Au pays des treize coteaux enchanteurs et des dix-neuf collines verdoyantes.

On franchit un ruisseau, on pénètre dans une forêt de hêtres ou de châtaigniers, on passe un ravin, on coupe deux sentiers, on traverse un pré, on longe une haie d’aubépines ou un alignement de peupliers, on enjambe une clôture, on se glisse sous une autre et

on emprunte un ancien chemin muletier, dissimulé par al végétation, et

on accède au territoire des ânes libres et

- Nous ne tolérions plus d’être traînés ou tirés (battus et insultés) (ils disent que nous sommes stupides, bêtes à manger du foin !), en caravane, lourdement bâtés, vers le marché de Bruxelles ! Nous ne supportions plus qu’on nous attelle ! Nous n’admettions plus d’être agrippés par les cheveux, bourrés de coups de pied, chevauchés et molestés par des fermiers crotteux !

on découvre

un lieu secret, un village abandonné par ses habitants depuis quelques dizaines d’années, sans route, sans eau courante et sans électricité, caché entre deux hauteurs dans un creux du relief…

où tous les bourricots maltraités (ayant cisaillé les brides, les sangles, les ficelles ou les licous qui les retenaient, s’étant échappés de leurs enclos, ayant longtemps trotté sur les petites routes de campagne, ayant erré, s’étant perdu, ayant déterré des racines comestibles, gobé des œufs de perdrix, grignoté des mûres, débusqué les girolles qui se cachaient en-dessous des feuilles mortes, brouté les pissenlits et les mourons des champs, évité de damer les chardons et les chiendents, longé le mur en pierres de maints cimetières, contourné les flaques d’eau, marché en file indienne le long d’innombrables voies de chemin de fer) ont finalement trouvé refuge, loin des chasseurs d’ânes…

ânes de Schaerbeek (devant porter sur leur dos plus de trente kilos de cerises servant à fabriquer la kriek), de Philippeville (dont la moquette est, par endroits, trouée), d’Espagne (se rendant à Compostelle) ou du Soudan (fuyant le Darfour)

bourricots du Péloponèse et des îles grecques, ânes de Dapaong et de Tanger, ânes (tendres et farceurs) de Castelbuono, ânes de Sicile, d’Albanie et du Nicaragua


Un vieux donjon (où résident le roi

des ânes et sa préférée du mois) (à l’œil vif et à la croupe ronde) entouré d’anciennes bergeries transformées en dortoirs (où d’anciennes favorites, jeunes accouchées, les pis pétris à l’ancienne,

- L’ânesse a toujours refusé d’être une vache comme les autres ! Elle ne produit du lait que quand elle nourrit et seulement pour son petit !

allaitent leurs ânons et soignent leurs vergetures) et de pâtures

- Dans le fond de la vallée, des champs de maïs transgénique ont été fauchés, brûlés et reconvertis en prairies !

suc-

- Tout est merveilleux dans le royaume des ânes ?

- Pour le roi, oui !

culentes



Des défenseurs de la nature s’indignent


La grand-mère et le plus âgé


Je suis réveillée sur le coup de minuit par la lumière d’une lampe torche braquée sur mon visage.

Deux hommes, un plus jeune (le plus shooté !) et l’autre plus âgé, se trouvent dans la pièce unique (sans salle de bain ni

- Il y a quand même un WC sur le palier ! Pour tous les locataires !

toilettes) de mon domicile, au deuxième étage de l’immeuble.


Le plus jeune est très excité et

- Tu as vu… elle s’éclaire encore à la bougie ! C’est sûrement une vieille avare ! Depuis très longtemps ! Certainement ! Elle a mis plein de fric de côté ! Forcément !

soulève mon tapis, mes napperons et

- Mais où cache-t-elle donc ça ?

secoue mon châle.


Le plus âgé me repousse doucement sur le lit et me place délicatement la couette sous le menton.

- N’ayez pas peur, Grand-Mère ! Ne criez pas ! Rendormez-vous ! Il ne se passe rien ! Je vais vous raconter une histoire qui se termine bien !


Après avoir fouillé mon sac à main et les poches de mon manteau, ouvert la porte du four

- Avoue !

de la gazinière et renversé

- Avoue le n° de ta carte de banque ! Dis-nous où tu la caches !

tous les tiroirs de mon armoire…

- La salope prétend qu’elle n’a pas de carte de banque ! Qu’est-ce qu’on fait ? On lui brûle les cheveux, on lui coupe un doigt, on lui frappe la tête, les doigts et les orteils à coups de marteau, on l’oblige à s’agenouiller au pied de son lit et on la sodomise ?

le plus jeune (et le plus futé !) finit par découvrir deux billets de cinquante euros que j’avais cachés (et dont j’avais complètement oublié l’existence) sous une pile de vieilles photos, derrière un tableau ou glissés dans une bible ou un coran, un livre de cuisine et des contes pour enfants (que je lisais avant que le soleil ne se couche) ou et que j’avais déposé sur ma table de chevet et

s’en empare et

bondit sur ses baskets et

ouvre la porte et

s’empare de la clef et

se précipite sur le palier et

enferme à double tour son comparse, le plus âgé (le moins futé !), à l’intérieur de mon palais.


Le plus âgé

- Oh !

me paraît subitement décontenancé, s’affole, s’indigne, s’angoisse, blasphème, fulmine, menace et essaie vainement de s’échapper en crochetant la porte d’entrée avec une fourchette et

- Avec du sucre, Fifils ?

je m’assieds sur mon lit, enlève mon bonnet de nuit et

- Avant de partir, Fifils ! Pour que tu te remettes de tes émotions !

propose une tisane au plus âgé (et le moins shooté !) et

- Pas de problème, Fiske, tu peux toujours t’enfuir par la fenêtre !

m’emploie à le rassurer et…


La Belgique se délite


Un camion en provenance de Kinshasa, appartenant aux Etablissements « Kozwa na Mokili », a

soudainement perdu le contrôle de son pantalon (tandis que ses chaussures se délaçaient) et a

chié dans les manches de son froc et a

dévalé à grande vitesse les marches qui mènent à la colonne du Congrès et s’est

renversé sur la nationale n° 1 au niveau du village Mbamba, près de Kwenge, à trente-quatre kilomètres de la ville de Kikwit et a

percuté un des deux lions (qui, depuis toujours, s’éventent et fouettent les moustiques avec leur queue et mordillent des morceaux de pneus rechapés) (et montent hardiment la garde au chevet du soldat inconnu) et fait bas-

culer le paellero, la flamme et le tisonnier et s’est aussi-

- Insulte à l’identité nationale !

tôt embra-

sé.


Wakabangu II, dans le territoire de Pangi, en province du Maniema


Pas de pluies, pas de semailles, pas de germes, pas de bourgeons, pas de récoltes.

Deux ans de sécheresse et de famine.


Mais

des bandes armées, des travaux forcés, des extorsions et des pillages, des otages et des rançons…

Des cultivatrices, des éleveuses de petit bétail, des vendeuses de viande fraîche et boucanée au marché, des vendeuses de tripes de bouc, des vendeuses d’oignons et de tomates, des vendeuses de pili-pili, des vendeuses de sucre et de sel, des vendeuses de riz, des écolières et des élèves des écoles primaires et secondaires, des femmes mariées et des femmes célibataires, des mères et des filles (et des grand-mères), enlevées, passées à tabac, violées, virusées, engrossées, rejetées…

Des Sakina, des Difo, des Mauwa, des Zobela, des Bijou, des Yohari, des Andjelina, des Malipizi…

Un homme traîné devant la foule par une corde attachée à son sexe. Un autre homme obligé de mimer l’acte sexuel en public (dans un tronc d’arbre creux ou dans un trou foré à l’intérieur d’une papaye ou à même le sol) jusqu’à l’éjaculation…

Des hommes et des femmes torturés ou enterrés vivants…


Mais

d’après la communauté internationale ?

il y aurait plus grave encore ?

- Des scientifiques de la conservation des espèces et des défenseurs de la nature, profondément bouleversés, s’indignent, s’agitent, lancent des cris d’alarme, exigent que des mesures de protection soient prises de toute urgence ?

Des éléphants et des hippopotames auraient été abattus ? Et les pales d’un hélicoptère de la Monuc ou de la FAO (attaqué par un gang d’orthoptères acridiens ?), soulevant des nuages de poussière, aurait

- Passé au mixeur ?

décimé un essaim de criquets migrateurs ?



Oyebi bango ?



Ketchup-Mayo se pose des questions


Qui suis-je et qui ne suis-je pas ?

Une ravaudeuse de filets de pêche, une

- Une femme redoutable ! Immobilisant ses proies avant de les manger ! Capable de vider son homme en moins de trois minutes !

- Est-elle également accessible aux personnes à mobilité réduite ?

- Evidemment ! Mais elle refuse son corps aux Belges unilingues qui refusent d’apprendre le lingala!

rebelle, une exploitante d’un salon de massages, une prostituée de la rue des Cailles, une marchande de bestiaux (bêtes à cornes et moutons ardennais) de Bertrix, une diva de la scène électronique, une chirurgienne urologue, une exploitante viticole, une institutrice de village, une veuve de pêcheur, une gouvernante de curé, une caissière de supermarchéune ramasseuse-trieuse de pommes de terre ?

Un boulanger borgne

- Un vrai boulanger, faisant lui-même son pain, ses couques et ses gaufres de Bruxelles !

ayant dû arrêter l’école en cinquième primaire (mais ayant obtenu, plus tard, un diplôme de boulanger-pâtissier et un brevet

- Ai-je rencontré un ours en Transsylvanie ? Ai-je tué des Musulmans, des Juifs ou des Chrétiens orthodoxes (aussi bien des nouveaux-nés que des vieillards) dans l’ancienne Yougoslavie ? Ces différents exploits m’ont-ils coûté un œil ?

- Etes-vous complètement rétabli à présent ? Avez-vous retrouvé votre pleine capacité de nuire ?

de para-commando) pour gagner de l’argent, un cocher de notaire, un journalier, un éclusier, un chasseur de rat musqué, une délégué syndical dans une tuerie de volailles, un coiffeur sur un chantier ou dans un hôpital, un loueur de cercueils d’occasion, un veilleur de nuit au cimetière (les revenants ne lui faisaient pas peur), un gardien de la flamme du soldat inconnu, un préposé à la surveillance des petites lumières du tabernacle et du niveau d’huile dans les moteurs, un vendeur de marrons chauds en bord de Seine, un ménestrel ou un magicien

- Comment faite-vous pour sortir le lapin du chapeau lorsqu’il reste coincé à l’intérieur ?

un cracheur de feu, un peintre-plafonneur dans un salon de beauté, un gondolier de Las Vegas ou de Macao (se tapant un cancer du pancréas pour devenir une star de l’opéra), un gestionnaire de fortunes, un loueur de vélos, un ferrailleur d’épaves de locomotives à vapeur et de vieux wagons de chemin de fer, un ramasseur de mégots (ayant participé, dans sa jeunesse, à un concours de recrutement à la police communale de Forest), un cueilleur de fraises, un brodeur, un plumassier, un boutonnier ou un bottier, un carrier, un débardeur à cheval travaillant dans la forêt d’Ardenne, un joueur professionnel de Texas Hold’em, un voyageur de commerce bossant pour un grossiste en fleurs, bijoux fantaisie et couronnes mortuaires, un ouvrier agricole dans une ferme de l’Ariège, un éleveur de fourmis

- Piquantes ou non piquantes ?

rouges, un tailleur d’ossements humains et facteur d’orgues et de flûtes, un cracheur de feu, un fripier ou un tisserand, un armurier ou un égorgeur, un dresseur de pitbulls, un colombophile, un orticulteur d’orchidées, un fabricant de cuves pour le lisier de porc, un escort-boy ou un masseur érotique, un gardien de troupeaux de plusieurs centaines d’escargots, un houilleur ou un souffleur de verre, un livreur de bonbonnes d’oxygène pour malades à domicile, un transporteur routier, un garçon de courses et porteur de paquets, un représentant en appareils électro-ménagers, un photographe de mariages, un crieur de journaux, un pilote d’ascenseur de ligne dans un hôtel de vieux luxe, un gardien de nuit dans un parking d’hôpital, un animateur de croisières, un porcher rêvant de devenir vacher ?


Qui suis-je ?

Suis-je l’objet d’une recherche scientifique ? Suis-je le terrain d’un doctorant ? Des cavaliers participent-ils à cette recherche (dans les fourrés et les fossés et différents autres lieux difficilement accessibles) ? Un chercheur obstiné me traque-t-il à la jumelle et recueille-t-il mes déjections et les fait-il analyser par un laboratoire ?


Suis-je un coiffeur qui vend aussi du poisson ? Un canneur, un loueur de chaises, un chiffonnier, un ramoneur, un réparateur de poupées, un chanteur de rue, un joueur d’orgue de barbarie, un accordéoniste, une lingère, une colporteuse d’eau chaude, un vendeur de pétrole, un livreur de lait, un allumeur de réverbères, un bouilleur de cru, un fabricant de limonade, une marchande de quatre saisons, un crieur de journaux ? Un suceur de sang (armé d’une grosse seringue de 60 millimètres) ? Un ecclésiastique en divagation (ouvrant largement les jambes et invitant des novices et des enfants de chœur à identifier ses messages olfactifs et

- Ça pue !

dont le slip, imprégné d’eaux bénites, dégage de puissantes odeurs de vieux cigare rance) accusé par

- D’anciennes religieuses qui cherchent à se venger et voudraient me faire plonger

deux femmes, cinq petites-femmes et une douzaine d’arrière-petites-femmes d’être leur mari et de les obliger à participer, jusque tard

- Le lieu du culte étant situé en face d’un arrêt de bus, certains fidèles n’osent pas s’y rendre pendant la journée de peur d’être reconnus par des voyageurs !

dans la nuit, à des fêtes de communion ou de mariage et des veillées de deuil ou de prières, à offrir leur corps à Dieu et à vendre

- Au nom du Christ ! Au nom de Jésus !

leurs charmes aux (généreux) sponsors et (bienveillants) commanditaires de l’église

- C’est la raison pour laquelle il se fait appeler Papa Pasteur Président-Fondateur (en sigle PPPF) ?

qu’il a fondée et qu’il préside ?


Qui suis-je ?

Un vendeur d’oiseaux au bazar de Kaboul (des hirondelles, des boudénés, des adamtchéris, des seyrés, des gulsars) ? Un fabriquant de pierres tombales et de cercueils figuratifs (en forme de pastèque, de poisson-chat, de révolver, de cravate, de crocodile, de bouteille de bière, de ballon de rugby, de camion-benne, de réfrigérateur à pétrole) ou de sculptures habitées ? Un ethnologue chasseur de têtes pour musées de l’homme ? Un caporal-chef infirmier des troupes coloniales en Nouvelle-Calédonie ? Un cow-boy en Sibérie ou au Sahara ?


Qui suis-je ?

Un piéton (habitant le quartier Makutano) qui fait le commerce de chaussures de deuxième pied et de dentiers de troisième bouche à Lubumbashi ? Un vendeur d’eau au marché de Kivukoni ? Un tireur de vin de palme septuagénaire habitant une petite hutte au fond d’une grande parcelle dans une commune urbano-rurale de la ville de Kikwit (qui ajuste sa ceinture de sécurité, grimpe en haut d’un de ses arbres, décroche une calebasse remplie de nsamba, redescend avec prudence et sert à boire à ses clients-habitués qui l’attendent au pied du palmier) ? L’inventeur d’un diamant de 265 carats dans une carrière proche de Mbuji-Mayi ? Un cycliste revendeur (habitant le quartier Mugunga, à plus ou moins quinze kilomètres de centre-ville) de bidons d’eau potable à Goma ? Un motard poignardé par un vendeur de brochettes, sur Kibalabala, dans le quartier Mabanga-Sud (au niveau d’une place communément appelée « Deux Lampes ») de la même ville ? Un jeune désoeuvré qui passe la nuit dans une pharmacie de Mbuji-Mayi (et qu’on accuse d’avoir pissé dans des flacons de médicaments) ? Un réparateur de motos travaillant habituellement (avant d’être frappé par la foudre) sous un manguier aux environs du stade Lumumba, dans la commune de la Tshopo, à Kisangani ? Le président de l’Association des vendeurs de cossettes de manioc de Bukavu qui

- Les agriculteurs ne travaillent plus comme avant et le prix du manioc est en hausse constante sur les marchés !

se plaint de la présence des Interhamwe aux alentours des champs et de l’insécurité qui en résulte. Un sous-officier responsable d’une des « barrières » (où les militaires exigent de tous les passants un droit de passage de trois cent francs congolais) érigées sur l’axe Kisangani-Banalia, à Belgika ou à Badambila ?


Qui suis-je ?

Une infirmière à Lingwala, un vendeur ambulant de boudin rose à Bumbu (cherchant ses clients du côté de l’avenue Feshi et environs), un journaliste à Kingabwa, une pharmacienne à Kingasani ya Suka, un fumeur de chanvre squattant chez son « frère » dans une parcelle en construction (depuis plusieurs années déjà) (et pour plusieurs années encore) du quartier Kitokimosi de la commune de Selembao, une exploitante de restaurant en plein air au marché Kapela à Yolo-Sud, un marchande de produits cosmétiques au marché Gambela de la commune de Kasa-Vubu, un réparateur de pneus

- Un quado !

de Bandalungwa, un grand opérateur économique de Kintambo (qui, sous le régime de Mobutu, revendait de la margarine, du sel, du papier cul et des confitures

- Bulgares ?

d’Aldi dans un magasin de nuit

- Le Sacramento ?

mais qui a présent, dit-on, ne se mêle plus de politique), une étudiante à Bandalungwa ou à Masina, un fonctionnaire à la Gombe, une jeune femme d’une trentaine d’année (mariée et mère de deux enfants) qui s’électrocute en prenant une douche

- Après ou avant la faisance ?

dans le kikoso de son concubin handicapé physique

- Chez qui elle se rendait chaque jour sous prétexte d’aller visiter une tante gravement malade ?

à Ngiri-Ngiri sur l’avenue Yolo, une ménagère à Binza-Ozone, un vendeur ambulant d’œufs durs à Kalamu (aux alentours de la grand-place Vis-à-Vis), un cambiste à N’Djili (habitant le quartier 11), une vendeuse de tissus imprimés (en provenance d’Asie via Brazzaville) installée au petit marché Baobab à l’entrée du beach Ngobila à la Gombe (et constamment harcelée par des « éléments » de la police nationale), un informaticien à Limete, un laveur de voitures à Binza-Ozone, un voleur à l’arraché du marché central résidant à Yolo-Nord (près de la Tempeta de Oro), une commerçante à Ngaliema, un tireur de pousse-pousse à Binza-Delvaux, un « chargeur » officiant au parking du rond-point Ngaba ou un shégué pickpocket

- Travaillant sur quelle ligne ? Victoire-Unikin, Victoire-Gombe, Victoire-Bandal ou Victoire-Kintambo ?

du rond-point Victoire?


Qui suis-je et qui ne suis-je pas ? Une nana ou un mec ?

Le directeur d’une usine de fabrication de craie à Uvira ou un tolekiste de Kisangani (qui exerçait ses activités, en ordre principal, dans la commune de Kabondo avant que « des hommes armés en tenue militaire » ne lui volent tout son argent, ne s’emparent de son vélo, ne le poignardent et ne lui tirent une balle dans

- Au choix ! C’est toi qui décides !

le cœur ou la tête) ou une vendeuse de viande de bœuf au centre commercial de la cité de Bafwasende ?


Suis-je une plaquette de chocolat enfermée depuis le mois d’avril (et qui, bien évidemment, n’a pas résisté aux fortes chaleurs de l’été ?) dans la boîte à gants d’une voiture

- Après avoir gagné un accident de circulation, montrez-vous courtois avec les blessés du camp adverse mais évitez de leur dire « je suis désolé ! » car ça pourrait être interprêté comme une reconnaissance de culpabilité !

accidentée ?

Ai-je fui la guerre franco-prusienne (ou ai-je refusé d’assumer les combats qui ont opposé un peloton de soldats de la 9e brigade intégrée à des éléments de la 83e brigade non brassée, sur l’axe Kalengera-Tongo

- Une petite fille de neuf ans a été tuée ! Et un caporal des Fardc aussi ! Et un militaire non brassé aussi !

à une quinzaine de kilomètres de Rutshuru-Centre) et me suis-je réfugié à Londres ou à Bruxelles ?

Ai-je, à l’âge de dix ans vomi devant la grille d’entrée d’une école et me suis-je, sept ans après, engagé dans les Waffen-SS ?

- C’était quoi votre métier avant ?

- Avant, j’étais Chinois !

Me suis-je, à l’âge de dix-neuf ans, déguisé en travesti pour pouvoir, aux heures d’affluence, monter dans les wagons de métro réservés aux femmes ?

Ai-je dévissé le couvercle

- Pousse-toi un peu !

d’un cercueil encore tiède pour m’y dissimuler et échapper aux recherches d’un gang de bons citoyens (habitant

- Tuons pour protéger nos biens !

le quartier de Mariahof, à Maasmachelen, dans le Limbourg) (deux poursuivants s’asseyant sur moi pour m’immobiliser et les autres me rouant de coups) qui voulaient me lyncher ?

Est-ce moi qui me déplace de façon suspecte (sautillant de façon grotesque) (sur une seule jambe comme un cygne) (ivre) (qui se prendrait pour un héron) (tout aussi beurré), dans une zone de combats et

que qu’une voiture de police poursuit, tamponne et jette dans le fossé ?

- Que me voulez-vous ? Ma poche à urine vient-elle de se détacher ?


Survivrai-je à un cancer de la prostate ?

Et, une fois ressuscité, qui serai-je ? Serai-je un Tsigane d’origine roumaine vivant dans une décharge publique de la périphérie de Rome ? Serai-je un membre éminent de la Chambre royale des Antiquaires de Belgique ou un allocataire social de la commune d’Ixelles (valant six cent vingt-cinq euros par mois) ? Serai-je un médecin psychiâtre de l’hôpital Erasme (s’installant dans la salle d’attente et observant ses clients) spécialiste des écoutes clandestines ? Serai-je zémidjan à Lomé ou à Cotonou ? Serai-je conducteur de tap-tap à Port-au-Prince (ou du guagua à La Habana ou de fula-fula à Kinshasa) ?



Succéderai-je à mon père et épouserai-je

- En avait-il une seulement ?

toutes ses maîtresses ?

Me fera-je greffer le pénis d’un homme de vingt ans et serai-je la composante mâle d’un couple d’amants adultérins, exécutés d’une balle dans la nuque, dont on retrouvera les corps nus et mouillés par la rosée, dans un champ de blé ou de maïs génétiquement modifié, aux environs de Dinan ? Serai-je une tueuse au parapluie et enfoncerai-je la point de mon arme dans l’œil de mon adversaire (et percerai-je la cornée et crèverai la rétine et trouerai-je le miroir et touillerai-je les moëlles) ?

Me réveillerai-je en pleine nuit et m’asseoirai-je au bord du lit pour regarder ma femme dormir ? Ou me lèverai-je

- Il est l’heure ! Debout ! Allumons le soleil !

à trois heures trente du matin pour faire mon marché à la halle aux poissons de Trouville ou à la criée de La Rochelle ?

Collectionnerai-je les cartes postales et les pin’s, les boîtes d’allumettes et les boîtes de sardines, les « réclames » et les affiches de cirque ou de cinéma, les verres et les cartons de bière, les dés à coudre et les canifs suisses, les factures et les cachets d’entreprises, les tee-shirts et les autocollants? Me mettrai-je à la philathélie pour calmer mes troubles du sommeil ? Me ferai-je enlever (maintenant que mes gencives sont devenues beaucoup plus molles) toutes mes dents de sagesse ? Deviendrai-je une psychologue spécialisée dans l’accompagnement de jeunes enfants vivant un deuil ? Attendrai-je de casser mes lunettes pour en changer et ne consulterai-je un médecin

- A Molenbeek, entre le canal et la gare de l’Ouest, ça coûte moins cher !

que lorsque j’aurai vraiment mal ?

Pisserai-je un litre de parfum sur le paillasson de ma voisine et y mettrai-je le feu ? Serai-je une artiste (portraitiste et paysagiste) née dans un village de montagne, d’un père ébéniste et d’une mère potière, et travaillerai-je sur commande pour des familles aisées ? Serai-je une enfant de Marie ou de Fatima (se faisant tatouer des passages de la sainte Bible sur la peau des fesses) (ou portant une calligraphie d’après-ramadan sur le poignet) ? Serai-je une nouvelle espèce d’orchidée découverte

- Comme si j’avais besoin de ça pour exister !

dans une forêt pluviale de la région de Kikori, aux abords du lac Kutubu, en Papouasie ? Ou serai-je une nouvelle espèce de pinson repérée

- Encore un nouveau produit, une nouvelle marque ! Le divin créateur n’arrête donc jamais de bosser !

dans une forêt d’altitude de la cordillère des Andes, en Colombie ? Devrai-je m’absenter pour aller aux toilettes ? Versera-t-on dans mon verre, à mon insu, une drogue inodore et incolore ? Serai-je violée à trois reprises sur trois aires de parking différentes (que je ne parviendrai pas à situer exactement sur quel plan de quelle ville) par un danseur étoilé de l’Opéra de Paris, un réceptionniste de motel ou un surveillant de lycée, se servant d’un épi de maïs, déjà grignoté, mis à tremper dans un bénitier ?

Chuchoterai-je, sur mon lit de mort (dans laquelle je venais de la troncher), quelques mots (vénéneux) à l’oreille (épilée, toute nue, encore moite) de ma postière (qui, de toute évidence, était également mon amante ?).

- C’est elle ! C’est bien elle ! C’est ma femme ! C’est elle qui m’a tué !


Une vieille n’arrivait plus à couper sa viande


Elle n’avait plus assez de force dans les mains pour couper sa viande et écrire…

A cause des coups de marteau qu’elle avait reçus sur les doigts.


Juillet et août 2006, les peuples de Palestine et du Liban, d’Iraq et d’Afghanistan ne sont pas en vacances


Texte paru dans « Et le monde regarde », ouvrage collectif sur la guerre du Liban en été 2006 (publié aux éditions du Cerisier, en 2007, sous la direction de Malika Madi)


Entendant des cliquetis, des déflagrations et des détonations, des vrombissements et des grincements effrayants et monstrueux de moteurs et de chenilles, le chef de village va aux nouvelles et voit s’amener, dans un nuage asphyxiant de poussière et une épouvantable odeur de limaille brûlée et d’huile calcinée, un convoi de blindés, de bulldozers, de pelleteuses, d’excavatrices et autres machines à détruire de l’armée.

Le chef du village tente de s’interposer.

Il se met en travers de la route avec son vélo pour empêcher les chars de passer.

Et ça fait rigoler les tankistes


Les soldats investissent la bourgade sans laisser

- Vous avez deux minutes pour sortir vos affaires, vos vieillards et vos bébés !

aux habitants le temps

- Emportez tout ce que vous pouvez ! Et n’oubliez pas vos grabataires et vos paralytiques !

d’emmener leurs effets personnels, bombardent l’école, incendient le dispensaire, rasent le marché, détruisent l’épicerie et le café (où les anciens avaient l’habitude de prendre le thé ou le café et de fumer le narguilé en regardant la télévision), carbonisent la camionnette du marchand de fruits, aplatissent un minibus et une voiture-taxi, défoncent la route, pulvérisent le vieux pont, sectionnent les câbles électriques, abattent les poteaux du téléphone, arrachent les figuiers et les oliviers, ravagent les champs, obstruent les puits, écrasent les systèmes d’irrigation, napalment les plantations, giboyent les ânes, les vaches et

- Tous des terroristes !

les paysans qui travaillent dans les champs (et qui cherchent à s’échapper en s’encourant vers les collines pelées des environs), charruent le cimetière, fusillent le monument aux morts.


On perçoit des coups de marteau. Ce sont les survivants

- Les morts ne peuvent pas attendre ! Ils doivent être enterrés rapidement !

qui clouent des cercueils. En bois tendre. Avec un capiton vert.

Les enfants rescapés ramassent les douilles et les trient par taille et par calibre. Ils font leurs

- La mort n’est pas écrite !

comptes.