dimanche 2 mai 2010

AnaCo 1 - Des défenseurs de la nature s'indignent

Didier de Lannoy
La vie au taux du jour
Dépêches de l'agence de presse privée Ana et le Congo (AnaCo) - Série 1
Première compil de dépêches (déchaussées, divagantes, yoyotantes) de l’agence de presse privée AnaCo : dépêches (littérature « immédiate », sketches interactifs, croquis à la carte ou dazibaos bringues-zingues-dingues, que sais-je…) dont certaines ont déjà été placardées sur internet ou spammées sur Outlook… dans lesquelles je m’autorise à exercer, en toute liberté, mon droit de citoyen de me mêler de n’importe quoi… et surtout d’ « affaires » dont on m’a bien fait comprendre que je n’y connaissais rien et qu’elles ne me concernaient pas du tout… et que j’avais plutôt intérêt à fermer ma grande gueule.
Nassogne (Badja), Matonge (Bruxelles), 2006-2007
Extraits - En vrac



Sur l'agnace AnaCo, voir aussi:
http://anaco2.blogspot.com/

et
http://anaco3.over-blog.net/

Sur le Congo, voir aussi (notamment):




Des défenseurs de la nature s’indignent


La grand-mère et le plus âgé


Je suis réveillée sur le coup de minuit par la lumière d’une lampe torche braquée sur mon visage.

Deux hommes, un plus jeune (le plus shooté !) et l’autre plus âgé, se trouvent dans la pièce unique (sans salle de bain ni

- Il y a quand même un WC sur le palier ! Pour tous les locataires !

toilettes) de mon domicile, au deuxième étage de l’immeuble.


Le plus jeune est très excité et

- Tu as vu… elle s’éclaire encore à la bougie ! C’est sûrement une vieille avare ! Depuis très longtemps ! Certainement ! Elle a mis plein de fric de côté ! Forcément !

soulève mon tapis, mes napperons et

- Mais où cache-t-elle donc ça ?

secoue mon châle.


Le plus âgé me repousse doucement sur le lit et me place délicatement la couette sous le menton.

- N’ayez pas peur, Grand-Mère ! Ne criez pas ! Rendormez-vous ! Il ne se passe rien ! Je vais vous raconter une histoire qui se termine bien !


Après avoir fouillé mon sac à main et les poches de mon manteau, ouvert la porte du four

- Avoue !

de la gazinière et renversé

- Avoue le n° de ta carte de banque ! Dis-nous où tu la caches !

tous les tiroirs de mon armoire…

- La salope prétend qu’elle n’a pas de carte de banque ! Qu’est-ce qu’on fait ? On lui brûle les cheveux, on lui coupe un doigt, on lui frappe la tête, les doigts et les orteils à coups de marteau, on l’oblige à s’agenouiller au pied de son lit et on la sodomise ?

le plus jeune (et le plus futé !) finit par découvrir deux billets de cinquante euros que j’avais cachés (et dont j’avais complètement oublié l’existence) sous une pile de vieilles photos, derrière un tableau ou glissés dans une bible ou un coran, un livre de cuisine et des contes pour enfants (que je lisais avant que le soleil ne se couche) ou et que j’avais déposé sur ma table de chevet et

s’en empare et

bondit sur ses baskets et

ouvre la porte et

s’empare de la clef et

se précipite sur le palier et

enferme à double tour son comparse, le plus âgé (le moins futé !), à l’intérieur de mon palais.


Le plus âgé

- Oh !

me paraît subitement décontenancé, s’affole, s’indigne, s’angoisse, blasphème, fulmine, menace et essaie vainement de s’échapper en crochetant la porte d’entrée avec une fourchette et

- Avec du sucre, Fifils ?

je m’assieds sur mon lit, enlève mon bonnet de nuit et

- Avant de partir, Fifils ! Pour que tu te remettes de tes émotions !

propose une tisane au plus âgé (et le moins shooté !) et

- Pas de problème, Fiske, tu peux toujours t’enfuir par la fenêtre !

m’emploie à le rassurer et…


La Belgique se délite


Un camion en provenance de Kinshasa, appartenant aux Etablissements « Kozwa na Mokili », a

soudainement perdu le contrôle de son pantalon (tandis que ses chaussures se délaçaient) et a

chié dans les manches de son froc et a

dévalé à grande vitesse les marches qui mènent à la colonne du Congrès et s’est

renversé sur la nationale n° 1 au niveau du village Mbamba, près de Kwenge, à trente-quatre kilomètres de la ville de Kikwit et a

percuté un des deux lions (qui, depuis toujours, s’éventent et fouettent les moustiques avec leur queue et mordillent des morceaux de pneus rechapés) (et montent hardiment la garde au chevet du soldat inconnu) et fait bas-

culer le paellero, la flamme et le tisonnier et s’est aussi-

- Insulte à l’identité nationale !

tôt embra-

sé.


Wakabangu II, dans le territoire de Pangi, en province du Maniema


Pas de pluies, pas de semailles, pas de germes, pas de bourgeons, pas de récoltes.

Deux ans de sécheresse et de famine.


Mais

des bandes armées, des travaux forcés, des extorsions et des pillages, des otages et des rançons…

Des cultivatrices, des éleveuses de petit bétail, des vendeuses de viande fraîche et boucanée au marché, des vendeuses de tripes de bouc, des vendeuses d’oignons et de tomates, des vendeuses de pili-pili, des vendeuses de sucre et de sel, des vendeuses de riz, des écolières et des élèves des écoles primaires et secondaires, des femmes mariées et des femmes célibataires, des mères et des filles (et des grand-mères), enlevées, passées à tabac, violées, virusées, engrossées, rejetées…

Des Sakina, des Difo, des Mauwa, des Zobela, des Bijou, des Yohari, des Andjelina, des Malipizi…

Un homme traîné devant la foule par une corde attachée à son sexe. Un autre homme obligé de mimer l’acte sexuel en public (dans un tronc d’arbre creux ou dans un trou foré à l’intérieur d’une papaye ou à même le sol) jusqu’à l’éjaculation…

Des hommes et des femmes torturés ou enterrés vivants…


Mais

d’après la communauté internationale ?

il y aurait plus grave encore ?

- Des scientifiques de la conservation des espèces et des défenseurs de la nature, profondément bouleversés, s’indignent, s’agitent, lancent des cris d’alarme, exigent que des mesures de protection soient prises de toute urgence ?

Des éléphants et des hippopotames auraient été abattus ? Et les pales d’un hélicoptère de la Monuc ou de la FAO (attaqué par un gang d’orthoptères acridiens ?), soulevant des nuages de poussière, aurait

- Passé au mixeur ?

décimé un essaim de criquets migrateurs ?



Oyebi bango ?



Ketchup-Mayo se pose des questions


Qui suis-je et qui ne suis-je pas ?

Une ravaudeuse de filets de pêche, une

- Une femme redoutable ! Immobilisant ses proies avant de les manger ! Capable de vider son homme en moins de trois minutes !

- Est-elle également accessible aux personnes à mobilité réduite ?

- Evidemment ! Mais elle refuse son corps aux Belges unilingues qui refusent d’apprendre le lingala!

rebelle, une exploitante d’un salon de massages, une prostituée de la rue des Cailles, une marchande de bestiaux (bêtes à cornes et moutons ardennais) de Bertrix, une diva de la scène électronique, une chirurgienne urologue, une exploitante viticole, une institutrice de village, une veuve de pêcheur, une gouvernante de curé, une caissière de supermarchéune ramasseuse-trieuse de pommes de terre ?

Un boulanger borgne

- Un vrai boulanger, faisant lui-même son pain, ses couques et ses gaufres de Bruxelles !

ayant dû arrêter l’école en cinquième primaire (mais ayant obtenu, plus tard, un diplôme de boulanger-pâtissier et un brevet

- Ai-je rencontré un ours en Transsylvanie ? Ai-je tué des Musulmans, des Juifs ou des Chrétiens orthodoxes (aussi bien des nouveaux-nés que des vieillards) dans l’ancienne Yougoslavie ? Ces différents exploits m’ont-ils coûté un œil ?

- Etes-vous complètement rétabli à présent ? Avez-vous retrouvé votre pleine capacité de nuire ?

de para-commando) pour gagner de l’argent, un cocher de notaire, un journalier, un éclusier, un chasseur de rat musqué, une délégué syndical dans une tuerie de volailles, un coiffeur sur un chantier ou dans un hôpital, un loueur de cercueils d’occasion, un veilleur de nuit au cimetière (les revenants ne lui faisaient pas peur), un gardien de la flamme du soldat inconnu, un préposé à la surveillance des petites lumières du tabernacle et du niveau d’huile dans les moteurs, un vendeur de marrons chauds en bord de Seine, un ménestrel ou un magicien

- Comment faite-vous pour sortir le lapin du chapeau lorsqu’il reste coincé à l’intérieur ?

un cracheur de feu, un peintre-plafonneur dans un salon de beauté, un gondolier de Las Vegas ou de Macao (se tapant un cancer du pancréas pour devenir une star de l’opéra), un gestionnaire de fortunes, un loueur de vélos, un ferrailleur d’épaves de locomotives à vapeur et de vieux wagons de chemin de fer, un ramasseur de mégots (ayant participé, dans sa jeunesse, à un concours de recrutement à la police communale de Forest), un cueilleur de fraises, un brodeur, un plumassier, un boutonnier ou un bottier, un carrier, un débardeur à cheval travaillant dans la forêt d’Ardenne, un joueur professionnel de Texas Hold’em, un voyageur de commerce bossant pour un grossiste en fleurs, bijoux fantaisie et couronnes mortuaires, un ouvrier agricole dans une ferme de l’Ariège, un éleveur de fourmis

- Piquantes ou non piquantes ?

rouges, un tailleur d’ossements humains et facteur d’orgues et de flûtes, un cracheur de feu, un fripier ou un tisserand, un armurier ou un égorgeur, un dresseur de pitbulls, un colombophile, un orticulteur d’orchidées, un fabricant de cuves pour le lisier de porc, un escort-boy ou un masseur érotique, un gardien de troupeaux de plusieurs centaines d’escargots, un houilleur ou un souffleur de verre, un livreur de bonbonnes d’oxygène pour malades à domicile, un transporteur routier, un garçon de courses et porteur de paquets, un représentant en appareils électro-ménagers, un photographe de mariages, un crieur de journaux, un pilote d’ascenseur de ligne dans un hôtel de vieux luxe, un gardien de nuit dans un parking d’hôpital, un animateur de croisières, un porcher rêvant de devenir vacher ?


Qui suis-je ?

Suis-je l’objet d’une recherche scientifique ? Suis-je le terrain d’un doctorant ? Des cavaliers participent-ils à cette recherche (dans les fourrés et les fossés et différents autres lieux difficilement accessibles) ? Un chercheur obstiné me traque-t-il à la jumelle et recueille-t-il mes déjections et les fait-il analyser par un laboratoire ?


Suis-je un coiffeur qui vend aussi du poisson ? Un canneur, un loueur de chaises, un chiffonnier, un ramoneur, un réparateur de poupées, un chanteur de rue, un joueur d’orgue de barbarie, un accordéoniste, une lingère, une colporteuse d’eau chaude, un vendeur de pétrole, un livreur de lait, un allumeur de réverbères, un bouilleur de cru, un fabricant de limonade, une marchande de quatre saisons, un crieur de journaux ? Un suceur de sang (armé d’une grosse seringue de 60 millimètres) ? Un ecclésiastique en divagation (ouvrant largement les jambes et invitant des novices et des enfants de chœur à identifier ses messages olfactifs et

- Ça pue !

dont le slip, imprégné d’eaux bénites, dégage de puissantes odeurs de vieux cigare rance) accusé par

- D’anciennes religieuses qui cherchent à se venger et voudraient me faire plonger

deux femmes, cinq petites-femmes et une douzaine d’arrière-petites-femmes d’être leur mari et de les obliger à participer, jusque tard

- Le lieu du culte étant situé en face d’un arrêt de bus, certains fidèles n’osent pas s’y rendre pendant la journée de peur d’être reconnus par des voyageurs !

dans la nuit, à des fêtes de communion ou de mariage et des veillées de deuil ou de prières, à offrir leur corps à Dieu et à vendre

- Au nom du Christ ! Au nom de Jésus !

leurs charmes aux (généreux) sponsors et (bienveillants) commanditaires de l’église

- C’est la raison pour laquelle il se fait appeler Papa Pasteur Président-Fondateur (en sigle PPPF) ?

qu’il a fondée et qu’il préside ?


Qui suis-je ?

Un vendeur d’oiseaux au bazar de Kaboul (des hirondelles, des boudénés, des adamtchéris, des seyrés, des gulsars) ? Un fabriquant de pierres tombales et de cercueils figuratifs (en forme de pastèque, de poisson-chat, de révolver, de cravate, de crocodile, de bouteille de bière, de ballon de rugby, de camion-benne, de réfrigérateur à pétrole) ou de sculptures habitées ? Un ethnologue chasseur de têtes pour musées de l’homme ? Un caporal-chef infirmier des troupes coloniales en Nouvelle-Calédonie ? Un cow-boy en Sibérie ou au Sahara ?


Qui suis-je ?

Un piéton (habitant le quartier Makutano) qui fait le commerce de chaussures de deuxième pied et de dentiers de troisième bouche à Lubumbashi ? Un vendeur d’eau au marché de Kivukoni ? Un tireur de vin de palme septuagénaire habitant une petite hutte au fond d’une grande parcelle dans une commune urbano-rurale de la ville de Kikwit (qui ajuste sa ceinture de sécurité, grimpe en haut d’un de ses arbres, décroche une calebasse remplie de nsamba, redescend avec prudence et sert à boire à ses clients-habitués qui l’attendent au pied du palmier) ? L’inventeur d’un diamant de 265 carats dans une carrière proche de Mbuji-Mayi ? Un cycliste revendeur (habitant le quartier Mugunga, à plus ou moins quinze kilomètres de centre-ville) de bidons d’eau potable à Goma ? Un motard poignardé par un vendeur de brochettes, sur Kibalabala, dans le quartier Mabanga-Sud (au niveau d’une place communément appelée « Deux Lampes ») de la même ville ? Un jeune désoeuvré qui passe la nuit dans une pharmacie de Mbuji-Mayi (et qu’on accuse d’avoir pissé dans des flacons de médicaments) ? Un réparateur de motos travaillant habituellement (avant d’être frappé par la foudre) sous un manguier aux environs du stade Lumumba, dans la commune de la Tshopo, à Kisangani ? Le président de l’Association des vendeurs de cossettes de manioc de Bukavu qui

- Les agriculteurs ne travaillent plus comme avant et le prix du manioc est en hausse constante sur les marchés !

se plaint de la présence des Interhamwe aux alentours des champs et de l’insécurité qui en résulte. Un sous-officier responsable d’une des « barrières » (où les militaires exigent de tous les passants un droit de passage de trois cent francs congolais) érigées sur l’axe Kisangani-Banalia, à Belgika ou à Badambila ?


Qui suis-je ?

Une infirmière à Lingwala, un vendeur ambulant de boudin rose à Bumbu (cherchant ses clients du côté de l’avenue Feshi et environs), un journaliste à Kingabwa, une pharmacienne à Kingasani ya Suka, un fumeur de chanvre squattant chez son « frère » dans une parcelle en construction (depuis plusieurs années déjà) (et pour plusieurs années encore) du quartier Kitokimosi de la commune de Selembao, une exploitante de restaurant en plein air au marché Kapela à Yolo-Sud, un marchande de produits cosmétiques au marché Gambela de la commune de Kasa-Vubu, un réparateur de pneus

- Un quado !

de Bandalungwa, un grand opérateur économique de Kintambo (qui, sous le régime de Mobutu, revendait de la margarine, du sel, du papier cul et des confitures

- Bulgares ?

d’Aldi dans un magasin de nuit

- Le Sacramento ?

mais qui a présent, dit-on, ne se mêle plus de politique), une étudiante à Bandalungwa ou à Masina, un fonctionnaire à la Gombe, une jeune femme d’une trentaine d’année (mariée et mère de deux enfants) qui s’électrocute en prenant une douche

- Après ou avant la faisance ?

dans le kikoso de son concubin handicapé physique

- Chez qui elle se rendait chaque jour sous prétexte d’aller visiter une tante gravement malade ?

à Ngiri-Ngiri sur l’avenue Yolo, une ménagère à Binza-Ozone, un vendeur ambulant d’œufs durs à Kalamu (aux alentours de la grand-place Vis-à-Vis), un cambiste à N’Djili (habitant le quartier 11), une vendeuse de tissus imprimés (en provenance d’Asie via Brazzaville) installée au petit marché Baobab à l’entrée du beach Ngobila à la Gombe (et constamment harcelée par des « éléments » de la police nationale), un informaticien à Limete, un laveur de voitures à Binza-Ozone, un voleur à l’arraché du marché central résidant à Yolo-Nord (près de la Tempeta de Oro), une commerçante à Ngaliema, un tireur de pousse-pousse à Binza-Delvaux, un « chargeur » officiant au parking du rond-point Ngaba ou un shégué pickpocket

- Travaillant sur quelle ligne ? Victoire-Unikin, Victoire-Gombe, Victoire-Bandal ou Victoire-Kintambo ?

du rond-point Victoire?


Qui suis-je et qui ne suis-je pas ? Une nana ou un mec ?

Le directeur d’une usine de fabrication de craie à Uvira ou un tolekiste de Kisangani (qui exerçait ses activités, en ordre principal, dans la commune de Kabondo avant que « des hommes armés en tenue militaire » ne lui volent tout son argent, ne s’emparent de son vélo, ne le poignardent et ne lui tirent une balle dans

- Au choix ! C’est toi qui décides !

le cœur ou la tête) ou une vendeuse de viande de bœuf au centre commercial de la cité de Bafwasende ?


Suis-je une plaquette de chocolat enfermée depuis le mois d’avril (et qui, bien évidemment, n’a pas résisté aux fortes chaleurs de l’été ?) dans la boîte à gants d’une voiture

- Après avoir gagné un accident de circulation, montrez-vous courtois avec les blessés du camp adverse mais évitez de leur dire « je suis désolé ! » car ça pourrait être interprêté comme une reconnaissance de culpabilité !

accidentée ?

Ai-je fui la guerre franco-prusienne (ou ai-je refusé d’assumer les combats qui ont opposé un peloton de soldats de la 9e brigade intégrée à des éléments de la 83e brigade non brassée, sur l’axe Kalengera-Tongo

- Une petite fille de neuf ans a été tuée ! Et un caporal des Fardc aussi ! Et un militaire non brassé aussi !

à une quinzaine de kilomètres de Rutshuru-Centre) et me suis-je réfugié à Londres ou à Bruxelles ?

Ai-je, à l’âge de dix ans vomi devant la grille d’entrée d’une école et me suis-je, sept ans après, engagé dans les Waffen-SS ?

- C’était quoi votre métier avant ?

- Avant, j’étais Chinois !

Me suis-je, à l’âge de dix-neuf ans, déguisé en travesti pour pouvoir, aux heures d’affluence, monter dans les wagons de métro réservés aux femmes ?

Ai-je dévissé le couvercle

- Pousse-toi un peu !

d’un cercueil encore tiède pour m’y dissimuler et échapper aux recherches d’un gang de bons citoyens (habitant

- Tuons pour protéger nos biens !

le quartier de Mariahof, à Maasmachelen, dans le Limbourg) (deux poursuivants s’asseyant sur moi pour m’immobiliser et les autres me rouant de coups) qui voulaient me lyncher ?

Est-ce moi qui me déplace de façon suspecte (sautillant de façon grotesque) (sur une seule jambe comme un cygne) (ivre) (qui se prendrait pour un héron) (tout aussi beurré), dans une zone de combats et

que qu’une voiture de police poursuit, tamponne et jette dans le fossé ?

- Que me voulez-vous ? Ma poche à urine vient-elle de se détacher ?


Survivrai-je à un cancer de la prostate ?

Et, une fois ressuscité, qui serai-je ? Serai-je un Tsigane d’origine roumaine vivant dans une décharge publique de la périphérie de Rome ? Serai-je un membre éminent de la Chambre royale des Antiquaires de Belgique ou un allocataire social de la commune d’Ixelles (valant six cent vingt-cinq euros par mois) ? Serai-je un médecin psychiâtre de l’hôpital Erasme (s’installant dans la salle d’attente et observant ses clients) spécialiste des écoutes clandestines ? Serai-je zémidjan à Lomé ou à Cotonou ? Serai-je conducteur de tap-tap à Port-au-Prince (ou du guagua à La Habana ou de fula-fula à Kinshasa) ?



Succéderai-je à mon père et épouserai-je

- En avait-il une seulement ?

toutes ses maîtresses ?

Me fera-je greffer le pénis d’un homme de vingt ans et serai-je la composante mâle d’un couple d’amants adultérins, exécutés d’une balle dans la nuque, dont on retrouvera les corps nus et mouillés par la rosée, dans un champ de blé ou de maïs génétiquement modifié, aux environs de Dinan ? Serai-je une tueuse au parapluie et enfoncerai-je la point de mon arme dans l’œil de mon adversaire (et percerai-je la cornée et crèverai la rétine et trouerai-je le miroir et touillerai-je les moëlles) ?

Me réveillerai-je en pleine nuit et m’asseoirai-je au bord du lit pour regarder ma femme dormir ? Ou me lèverai-je

- Il est l’heure ! Debout ! Allumons le soleil !

à trois heures trente du matin pour faire mon marché à la halle aux poissons de Trouville ou à la criée de La Rochelle ?

Collectionnerai-je les cartes postales et les pin’s, les boîtes d’allumettes et les boîtes de sardines, les « réclames » et les affiches de cirque ou de cinéma, les verres et les cartons de bière, les dés à coudre et les canifs suisses, les factures et les cachets d’entreprises, les tee-shirts et les autocollants? Me mettrai-je à la philathélie pour calmer mes troubles du sommeil ? Me ferai-je enlever (maintenant que mes gencives sont devenues beaucoup plus molles) toutes mes dents de sagesse ? Deviendrai-je une psychologue spécialisée dans l’accompagnement de jeunes enfants vivant un deuil ? Attendrai-je de casser mes lunettes pour en changer et ne consulterai-je un médecin

- A Molenbeek, entre le canal et la gare de l’Ouest, ça coûte moins cher !

que lorsque j’aurai vraiment mal ?

Pisserai-je un litre de parfum sur le paillasson de ma voisine et y mettrai-je le feu ? Serai-je une artiste (portraitiste et paysagiste) née dans un village de montagne, d’un père ébéniste et d’une mère potière, et travaillerai-je sur commande pour des familles aisées ? Serai-je une enfant de Marie ou de Fatima (se faisant tatouer des passages de la sainte Bible sur la peau des fesses) (ou portant une calligraphie d’après-ramadan sur le poignet) ? Serai-je une nouvelle espèce d’orchidée découverte

- Comme si j’avais besoin de ça pour exister !

dans une forêt pluviale de la région de Kikori, aux abords du lac Kutubu, en Papouasie ? Ou serai-je une nouvelle espèce de pinson repérée

- Encore un nouveau produit, une nouvelle marque ! Le divin créateur n’arrête donc jamais de bosser !

dans une forêt d’altitude de la cordillère des Andes, en Colombie ? Devrai-je m’absenter pour aller aux toilettes ? Versera-t-on dans mon verre, à mon insu, une drogue inodore et incolore ? Serai-je violée à trois reprises sur trois aires de parking différentes (que je ne parviendrai pas à situer exactement sur quel plan de quelle ville) par un danseur étoilé de l’Opéra de Paris, un réceptionniste de motel ou un surveillant de lycée, se servant d’un épi de maïs, déjà grignoté, mis à tremper dans un bénitier ?

Chuchoterai-je, sur mon lit de mort (dans laquelle je venais de la troncher), quelques mots (vénéneux) à l’oreille (épilée, toute nue, encore moite) de ma postière (qui, de toute évidence, était également mon amante ?).

- C’est elle ! C’est bien elle ! C’est ma femme ! C’est elle qui m’a tué !


Une vieille n’arrivait plus à couper sa viande


Elle n’avait plus assez de force dans les mains pour couper sa viande et écrire…

A cause des coups de marteau qu’elle avait reçus sur les doigts.


Juillet et août 2006, les peuples de Palestine et du Liban, d’Iraq et d’Afghanistan ne sont pas en vacances


Texte paru dans « Et le monde regarde », ouvrage collectif sur la guerre du Liban en été 2006 (publié aux éditions du Cerisier, en 2007, sous la direction de Malika Madi)


Entendant des cliquetis, des déflagrations et des détonations, des vrombissements et des grincements effrayants et monstrueux de moteurs et de chenilles, le chef de village va aux nouvelles et voit s’amener, dans un nuage asphyxiant de poussière et une épouvantable odeur de limaille brûlée et d’huile calcinée, un convoi de blindés, de bulldozers, de pelleteuses, d’excavatrices et autres machines à détruire de l’armée.

Le chef du village tente de s’interposer.

Il se met en travers de la route avec son vélo pour empêcher les chars de passer.

Et ça fait rigoler les tankistes


Les soldats investissent la bourgade sans laisser

- Vous avez deux minutes pour sortir vos affaires, vos vieillards et vos bébés !

aux habitants le temps

- Emportez tout ce que vous pouvez ! Et n’oubliez pas vos grabataires et vos paralytiques !

d’emmener leurs effets personnels, bombardent l’école, incendient le dispensaire, rasent le marché, détruisent l’épicerie et le café (où les anciens avaient l’habitude de prendre le thé ou le café et de fumer le narguilé en regardant la télévision), carbonisent la camionnette du marchand de fruits, aplatissent un minibus et une voiture-taxi, défoncent la route, pulvérisent le vieux pont, sectionnent les câbles électriques, abattent les poteaux du téléphone, arrachent les figuiers et les oliviers, ravagent les champs, obstruent les puits, écrasent les systèmes d’irrigation, napalment les plantations, giboyent les ânes, les vaches et

- Tous des terroristes !

les paysans qui travaillent dans les champs (et qui cherchent à s’échapper en s’encourant vers les collines pelées des environs), charruent le cimetière, fusillent le monument aux morts.


On perçoit des coups de marteau. Ce sont les survivants

- Les morts ne peuvent pas attendre ! Ils doivent être enterrés rapidement !

qui clouent des cercueils. En bois tendre. Avec un capiton vert.

Les enfants rescapés ramassent les douilles et les trient par taille et par calibre. Ils font leurs

- La mort n’est pas écrite !

comptes.